LORAN

Dernier des mohicans, druide de la guitare saturée ou éternel troubadour de la liberté, Loran est une des personnalités les plus emblématiques de la scène alternative Française.

Ancien Bérurier Noir et actuel Ramoneurs de Menhirs, Loran a toujours su prendre la tangente et bouleverser les limites du punk vers des territoires inattendus.
Que cela soit en mixant culture fest-noz avec punk rock, ou par le biais du théâtre expérimental, la démarche reste la même, celle de la sincérité.


Ici même : petit condensé d’un long entretien passé avec l’animal le temps de revenir sur son parcours, son approche de la musique, mais également régler quelques comptes notamment avec la 8°6 ou l’après shampoing !

| Par Nino Futur

Nous sommes en l’an 2022. Bien longtemps que le RN obtient plus de 20 % aux élections, que l’état d’urgence se normalise sur le sol français, que chaque contre-culture naissante se fait récupérer commercialement, que la crise sanitaire bloque la culture et l’alternatif. Comment se porte Loran au milieu de tout ça ?

Loran : Cela risque de paraître brutal, mais la jeunesse n’emmerde pas tant que ça le front national. Elle est comme lobotomisée… C’est juste un constat. Je pense presque que le slogan révolutionnaire d’aujourd’hui serait « sors de chez toi ! », car on est tous responsables du monde dans lequel on vit. J’ai fait mon premier concert au collège en 1977, et depuis je n’ai pas arrêté.

Je peux te dire que depuis tout ce temps, les espaces de liberté ont fondu comme la banquise.

Je partage la vision d’Antonin Artaud (écrivain/poète francais des années 1930. NDLR) vis-à-vis de l’art. Il avait écrit au recteur des académies d’art pour lui demander comment il pouvait exercer un tel « métier »… Je suis d’accord, pour moi un artiste dans un fauteuil fera toujours de la merde. C’est pour ça que je n’ai jamais été intermittent, car je suis contre le fait de devoir se démontrer comme étant rentable.

Un artiste c’est avant tout un marginal, quelqu’un qui est censé avoir un recul sur la fourmilière.

Chaque situation est différente, il faut savoir prendre du recul. La musique n’a pas de prix, et à partir de ça, il faut trouver le juste prix. Bon je fais mon vieux con, mais tu as les salles labellisées « musiques actuelles » qui sont des salles subventionnées par la DRAC. Ces salles ne font jouer que des groupes intermittents, et nous autres sommes vus comme des artistes faisant du tort aux professionnels. Il faudrait avant tout que cela soit la passion qui parle…

Et qu’est ce que tu conseillerais aux personnes qui voudraient vivre de leur musique sans être professionnels ?

Il faut construire les choses en collectif, savoir aller à l’opposé de la tendance. Tu vois, avec les Bérus on a rejeté le cliché basse/batterie pour se démarquer. C’est comme James Dean qui s’était fait repérer sur une audition à Hollywood en faisant exactement l’opposé de ce qu’on attendait de lui.

Je pense également qu’on peut repenser le modèle économique des concerts, avec le bar ou le merch. L’argent ce n’est qu’un outil et lorsque tu vis en collectif, je pense que tu apprends à utiliser cet outil sainement. Comme dans le quartier d’Exarchia à Athènes par exemple… Tu centralises les biens, tu crées de la rencontre. Pourquoi avoir une machine à laver dans chaque appartement ? Non : tu crées un seul endroit pour tout le monde, et les gens s’y retrouvent ensemble! Il y a un proverbe celte qui dit : « on n’enferme jamais ce qui est vivant ». Pourtant c’est ce qu’on passe notre temps à faire.

C’était également l’un des principaux combats de Geronimo : lutter pour ne pas être planté en ligne dans des réserves. Et pourtant si tu regardes avec le recul : toute notre vie est comme ça. Regarde ce qu’on mange. Si tu manges de l’animal qui a été enfermé, alors tu t’enfermes toi aussi.

Tu as vécu quelques années en Italie, peux-tu nous en parler ?

Tout de suite après la fin des Bérus, j’ai ressenti comme un grand vide. Il fallait faire quelque chose.
J’ai arrêté la gratte et je suis parti vivre avec les hippies dans la vallée des merveilles à la frontière italienne. C’est d’ailleurs là-bas que sont nés deux de mes enfants. Il n’y avait pas d’accès en voiture, on était environ 300 et on avais tous passé un pacte : rien ne devait être motorisé. Quand j’habitais là-bas, je ne voulais pas être affilié à mon passé Bérurier. Quand en 2003 je suis parti pour répondre à l’appel des Bérus, les gens de la vallée hallucinaient car ils ne savaient pas que je jouais dans un groupe ! A cette époque, je m’étais également mis à filmer beaucoup. J’avais monté une petite boite de prod « Golden Cyclope »…

Dans les années 90’s tu as fondé ce groupe très particulier qu’est Tromatism. Peux-tu nous expliquer un peu toute la démarche derrière ce projet ?

La démarche de Tromatism c’était de faire un groupe avec rien. Mais comment est-ce possible ? Premièrement, tout notre matos a été dépouillé dans des boutiques de musique. Pouf ! Une boite à rythme sous le manteau. Et puis même pour la sono et tout ça, on s’était rendu compte que dans toutes les MJC de France, tu as tout le matériel réformé par-dessous la scène.

Il est déclaré défectueux par les structures pour pouvoir continuer à toucher des subventions.

Pouf ! Et on a pipé le gasoil dans des camions d’entreprises pendant nos 5 ans d’activité (1993-1998). Ce n’est pas du vol, mais de l’autoréduction ! On faisait pareil dans les supermarchés bio.

On tournait uniquement dans les squats d’Europe et on a pu montrer qu’avec rien, tu pouvais faire un groupe.

On s’est fait expulser de la Hongrie… on est rentrés illégalement en Bosnie durant la guerre en ex-Yougoslavie pour jouer dans un camp de réfugiés…
Bref, on était entièrement autonomes. On avait des panneaux solaires sur les camions qui alimentaient des batteries qui nous servaient à éclairer nos concerts. On avait également un groupe électrogène. Suite aux essais nucléaires de Mururoa, on a boycotté toutes les prises nucléaires françaises, comme ça dans le doute, on pouvait toujours jouer sur groupe électrogène.

On ne buvait pas d’alcool, on ne mangeait pas de viande et on faisait du yoga.
On avait d’ailleurs fait polémique avec un morceau sur le végétarisme : « Mange ta viande » qui nous avait valu l’étiquette d’ « intégristes ». « Si tu veux manger de la viande, mange la tienne ! » (Rires).

Tu as toujours gardé le même jeu de guitare depuis tes débuts, très rythmique, presque tribal et identifiable à la première écoute…

Je pense sincèrement être un des seuls guitaristes qui en 40 ans de carrière n’a jamais fait un solo et a su rester simple. Je ne joue qu’en répète et sur scène. Je suis clairement pas le genre de gars à taper le bœuf. Alors oui, c’est sur que je suis un piètre guitariste… Mais au fil des années j’ai développé une sensibilité particulière. Le manche de la guitare pour moi, c’est le côté démonstratif. La main droite est selon moi plus importante car c’est elle qui donne toute l’émotion. C’est comme une personne en situation d’handicap, privée d’une faculté ou d’un sens… elle en développera d’autres. C’est un peu mon cas avec la guitare. C’est d’ailleurs tout un concept Amérindien qu’on aurait pu acquérir si nous autres « civilisés » ne les avions pas tous massacrés.

Est-ce que tu as déjà joué dans des projets avec des batteurs ?

Figures-toi qu’à partir des Bérus, je n’ai plus jamais joué avec une batterie ! Dans mon premier groupe on était deux : une batterie, une guitare. Mon groupe d’avant Béru (Guernica) pareil…

Comment est-ce que tu procèdes durant le processus de composition d’un album ?

Il n’y a pas de recette. Ça peut partir d’un texte, d’un accord… Pour moi si tu es un artiste qui pense avoir tout compris, alors tu es mort. Il faut se remettre en question tout le temps.
J’ai remarqué quelque chose dans le rock depuis quelques années, c’est le syndrome Jacques Martin ! (Rires) Les groupes se sentent obligés de faire asseoir la foule, la diviser en deux ou crier à la demande ! Un concert rock ça ne se vit pas comme ça. Il devient complètement conformiste alors que comme le chantaient IAM « le rock est né dans un champ de coton »…
C’est comme le fait qu’on nous ai souvent comparé avec NTM… Alors que nous n’avons jamais signés sur une major, ou un quelconque contrat avec un commercial !

Tu nous parles du punk depuis le début mais où l’as-tu rencontré et qu’est ce qui t’as provoqué un tel déclic ? On te sent presque plus hippie que punk !

C’est par les beatniks ! Les punks sont des hippies un peu plus énervés ! A la base ça part quand même d’un mouvement de jeunes contre le capitalisme. Toute la pensée hippie,  les textes, Patti Smith… les Doors… y’avait quelque chose de vachement fort là dedans ! C’était non-conventionnel.

Maintenant un groupe de rock avec gros son, grosse disto, gros éclairages, c’est juste un bel emballage… Méfiez vous des mecs qui sentent trop l’après shampoing ! (Rires)

Pareil, quand je vois un mec avachi par terre avec sa bière, pour moi c’est pas un punk, c’est un asservi. La 8°6 c’est un poison qui sert à tuer les punks ! Quand j’étais tout gamin j’étais complètement asocial, le monde me faisait flipper, on a du me placer dans une école alternative… je pense que le punk a été la suite logique à tout ça. Il n’y a que sur scène que je me sens pleinement à l’aise…

Tu es d’origine grecque, tu n’as jamais connu ta famille là bas ?

Je suis d’origine grecque par ma grand-mère, j’ai un nom grec, mes enfants le portent aussi. On a fait des recherches sur notre nom mais on ne trouve que nous. Ma mère a été en Grèce pour essayer de trouver des liens… rien. J’ai un rapport particulier à ce pays, je ne veux pas y aller si je n’y suis pas invité ! Je ne veux surtout pas y aller avec mon sac à dos et faire le touriste voyeur qui ne parle pas la langue et n’a aucun contact.

Mais alors, comment t’es-tu rapproché de la culture celte, vu que tu n’en es pas à la base ?

Par la vallée des merveilles qui est un lieu sacré chez les celtes. Il y avait la pierre des tribus qui a d’ailleurs été enlevée par François Mitterrand.

Durant le solstice, les chefs de chaque tribus celtes descendaient pour méditer devant cette pierre… tu imagines l’énergie que ça devait dégager !

L’impact des Bérus sur la scène française a donné naissance à beaucoup de groupes dans votre sillage, comment le perçois-tu ?

Comme moi j’ai pu être influencé plus jeune par des groupes… Ce n’est qu’un relais à passer.
L’égo est quelque chose de très important quand on fait de la musique, surtout quand on est un Béru vu comment on me casse les couilles avec ça ! C’est pour ça qu’un groupe qui tournait à l’international comme Tromatism était important pour moi, afin de me détacher de mon étiquette Béru. Parce que c’était une renommée uniquement francophone. En Pologne, en Allemagne, ils en avaient rien à foutre. Ces pays découvrent les Bérus seulement maintenant…

Tu as eu pas mal de projets entre les Bérus et les Ramoneurs…

Oui, j’ai même fait du théâtre. Avec le Théâtre du Poulailler, on se présentait dans les free parties. A 3h du mat’ on éteint le son et on fait du théâtre… Je peux te dire que là tu as intérêt à envoyer du lourd ! On racontait une histoire qui se passait 3,2 millions d’années avant notre ère, la rencontre entre un primate et une phacochère. Ça durait une demi-heure très intense, y’avait de la guitare, des machines, des comédiens, des ombres chinoises, des images choc pour les mecs en montée de LSD…

Tu nous as dit que tu avais pour habitude de planter une graine dans chaque scène que tu foulais à une époque, peux-tu nous donner une explication à ça ?

Oui, c’était avec Tromatism. On faisait également cuire le pain pour le partager à la fin du concert, parce qu’il y a quelque chose d’universel dans le pain. Mais pour la graine, on avait une barre à mine pour creuser la scène et la planter. La signification de la graine c’est avant tout parce que les arbres sont nos pairs. A partir du moment où on ne respecte pas l’environnement c’est normal que ce dernier nous rejette…