MESSED UP
INTERVIEW
Aujourd’hui en Occident, faire du punk ne représente plus une réelle menace ni une mise en danger de soi. Lissé, démocratisé et pris malgré lui dans la grande broyeuse de l’entertainement, le punk n’est plus qu’une autre contre-culture contestataire morte vivante.
Messed Up, elles, n’ont pas vécu le punk comme nous, originaires de la dernière des dictatures d’Europe aka la Biélorussie. Face à la répression excessive de leur gouvernement envers toutes oppositions politiques et contre-culturelles, les Messed Up se sont vues obligées de fuir leur pays, au prix de la liberté et de leur passion.
Désormais résidentes en Pologne, et pro-actives sur la scène punk antifasciste, les quatre musiciennes s’expriment au sujet de leur pays d’origine, leur situation de réfugiées et leur vision de la scène DIY.
Propos recueillis par Ninofutur

Messed Up s’est originellement formé en 2015 à Grodno en Biélorussie. Comment grandir en tant qu’adolescente punk dans une culture aussi conservatrice que celle de votre pays ? Dans quelles conditions votre groupe est né ?
La Biélorussie est un petit pays d’environ 9 millions d’habitants mais qui possède tout de même une scène unie et chargée en histoire. Nous avons découvert le punk autour de nos 14/15 ans par accident, parce que dans les rues de chez nous, tu ne croiseras jamais des punks et autres crusties comme c’est le cas à Berlin par exemple.
La scène alternative y est très confidentielle en raison de l’oppression que subissent ses acteur.ice.s. Si tu es dans l’alternatif, ça veut dire que tu es politisé.e, et que par conséquent, tu rencontreras quelques difficultés.
Le groupe est un peu né sur un coup de chance, c’est notre passion pour la musique qui nous a rassemblé. Quatre musiciennes dont deux en fac de musique.
Nous étions un peu le groupe étudiant de base. Absolument rien à voir avec le punk. Nous avons commencé par des reprises de ZZ-Top et Lita Ford tout en essayant de se trouver un style, mais dès que nous avons mis les pieds dans la scène punk, on a vite compris vers quoi nous devions aller. Au début ce n’était pas par réel choix politique. Plus par résistance face à une société conservatrice et patriarcale souvent caractéristique des pays post-soviétiques.

Tous vos textes sont en russe. Est-ce que Messed up est un groupe profondément marqué par la scène Russe ? Ou avez-vous des influences plus globales ?
Nous chantons en russe car il est plus facile pour nous d’utiliser ce langage. Il s’agit de la langue dans laquelle nous pensons. Comme nous l’avons dit, à nos débuts nous faisions essentiellement des reprises de gros artistes tels qu’Anti-Flag ou Maid of Ace. Mais après avoir découvert la scène alternative, c’est devenu bien plus intéressant pour nous de pouvoir communiquer et d’apprendre de groupes avec qui nous partageons la scène. Des groupes ayant rencontré les mêmes difficultés que nous et qui ne sont pas les mêmes qu’en occident.
Depuis la tentative de révolution ayant eu lieu entre 2020 et 2021, il y a t-il toujours une scène active en Biélorussie malgré le climat politique actuel très tendu?
Non. Toute la scène a été éteinte, et ce pour deux raisons . La première, c’est la répression: il est purement impossible d’envisager des telles activités. Même si une soirée punk dite “apolitique” se montait, la police viendrait quand même avec les conséquences que l’on vous laisse deviner.
La seconde raison: la plupart des acteurs de la scène punk se sont retrouvés derrières les barreaux. Par exemple le groupe de punk antifa Kita, condamné à deux ans et demi de colonie pénale, juste pour des posts sur les réseaux sociaux. Les autres ont tout simplement fuit le pays. La plupart des groupes habitent maintenant en Pologne et se font une place au sein de la scène locale.


La plupart des paroles de votre album de 2019 « Всё то во что ты веришь » (« Tout ce en quoi tu crois ») sont profondément marquées d’un discours anti-autoritaire, ce qui semble d’autant plus pertinent en raison de votre situation actuelle.
Quelles sont vos principales motivations à l’idée d’écrire un texte socialement tranché?
Nous sommes nées, éduquées, et avons passé presque toute notre vie en dictature. Quand nous avons commencé à rencontrer des groupes étrangers venant jouer dans notre ville, ou quand nous avons commencé à voyager, nous avons vite vu que ces gens étaient plus libres et bien moins effrayé.e.s que nous. Chez nous, le fait même de coller un sticker peut vous inspirer craintes et doutes: “Maintenant les flics vont débarquer pour moi”.
A un certain point, les faits te hantent: pourquoi vivre dans une peur constante à cause de cette chape de plomb qu’impose la dictature au dessus de nos têtes? Nous ne voulons pas être de ces personnes intimidées et effrayées par le régime. C’est sur ces questions là que les textes de l’album se basent.

Vous vivez maintenant comme “réfugiées politiques” hors du pays. La décision de partir fut-elle difficile pour vous? Considériez-vous cette décision comme le prix de la liberté pour vous et même le groupe?
C’était à la fois la décision la plus évidente et difficile de notre vie. Évidente dans le sens où ce choix était presque intuitif: quelques années en prison ou la liberté.
Mais difficile à l’idée de laisser nos familles dans cette situation. Nous avons retardé cette prise de décision le plus longtemps possible jusqu’au dernier gros signal annonciateur qu’il était le moment de partir.
Au début de notre nouvelle vie, nous ressentions une forme d’euphorie, à l’idée de se dire que nous pouvions aller nous coucher sans la boule au ventre d’une potentielle arrestation au petit matin. Un grand soulagement. Mais une fois cette période passée, tu te rends compte que tu ne pourras plus rentrer à la maison avant un long moment. Ton nouveau pays n’est pas ta maison et ne le sera jamais. C’est un fait que la plupart des réfugiés politiques ne peuvent supporter, la plupart souffrent de détresse psychologique pour ces raisons.
Vous vivez maintenant séparées entre plusieurs villes (voire pays!) n’est-ce pas trop compliqué pour maintenir une bonne organisation du groupe? Comment fonctionne Messed Up ?

Nous vivons séparées entre deux pays. Mais la plupart d’entre nous sont sur Varsovie. Nous faisons en sorte de nous voir une fois par mois. Nous travaillons actuellement sur des anciennes chansons enregistrées en Biélorussie que nous allons sortir.
Pour ce qui est des nouvelles compositions, nous essayons de nous caler une semaine entière en nous terrant en studio de répétition afin de partager notre créativité. Pour le moment cela marche bien et plutôt tranquillement.

Vous-vous décrivez comme « 100% GRLZZZ PUNK ROCK ». Yavait-il d’autres groupes de cette revendication en Biélorussie? Avez-vous ressenti une perception différente des groupes de meufs en Europe ? Avez-vous tissé des liens avec d’autres groupes revendiqués “riot grrl” ?
Nous n’étions pas le seul groupe féministe de Biélorussie mais disons plutôt le premier à se faire connaître. Quand nous avons découvert la scène féministe allemande, nous avons été surprises.
En Biélorussie nous n’avions jamais eu un tel niveau d’émancipation et ne l’aurons peut être jamais. Bien évidemment, chaque scène a de plus ou moins gros problèmes de sexisme. Mais chez nous, cet élément là n’était même pas un sujet de discussion. Bien sûr, nous nous sommes déjà senties discriminées ici, mais c’est différent.
Parfois, nous ressentons un brin de moquerie et de jalousie de la part de certains groupe qui pensent qu’il est plus facile pour nous de se faire connaître en Europe juste parce que nous sommes des meufs, et que ce sera toujours plus intéressant que quatre gars qui jouent du crust punk. Paradoxalement, nous avons d’avantage de connexions avec des groupes féministes européens que Biélorusses. Après avoir fait notre expérience nous voulions développer nos idées en Biélorussie par nous-même. Nous voulions par exemple monter notre festival féministe dans notre ville.
A côté de ça, nous avions monté l’initiative “inter” fondé sur un principe d’éducation populaire. Nous avions beaucoup de projets à développer jusqu’à cette fameuse année 2020…
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est votre initiative “Inter”?

Il s’agissait d’une initiative d’éducation populaire ayant pour but d’éduquer les jeunes de chez nous. Nous avons organisé des lectures sur des sujets comme le féminisme, les personnes LGBTQ+, le body-positivism, le sexisme, l’égalité, l’empowerment, les violences domestiques…
Nous avons organisé des projections, des soirées queer ainsi qu’un mini fest DIY: “Not her fault”. Le public était essentiellement composé de jeunes entre 15 et 30 ans complètement extérieurs à la scène punk, et qui comme nous, n’avaient pas accès à ces sujets sur les réseaux sociaux. Notre initiative a été plutôt applaudie, car elle a pu aider des jeunes d’une ville perdue à s’éduquer sur certains sujets. Dans un contexte politique ne le permettant pas.

Votre album est sorti via Audiolith Records, un label Allemand sortant tous types de groupes. Comment s’est fait le contact? La sortie de l’album sur un tel label a-t-il apporté quelque-chose à votre notoriété ?
Nous étions à un concert du groupe Moscow Death Brigade à Hambourg, la ville où le label est implanté. Nous avons été présentées aux gens du label par MDB. Après discussions, ils ont accepté de nous apporter leur soutien. Nous avons perçu cette rencontre comme une chance de se faire un nom en Europe et pouvoir en dire plus sur la situation Biélorusse. Évidemment, la sortie de notre album sur un label Européen était un grand “step up” pour le groupe.
Mais ce n’est pas ce qui nous importe le plus. Nous ne sommes pas en quête de carrière.
Il se trouve qu’avec ce label nous avons l’opportunité de pouvoir davantage nous exprimer et aider la scène Biélorusse. Par exemple, le label a déjà mis en place des collectes de dons pour des prisonniers politiques Biélorusses et autres ONG.
Messed Up semble être un groupe profondément marqué par l’éthique D.I.Y ? Où vous situerez-vous sur le spectre du D.I.Y? Qu’est ce que cette philosophie vous évoque ?
Comme la plupart des groupes, nous sommes issues du milieu DIY et nous continuons à suivre différents principes de cette culture. Vu qu’il n’est pas évident d’être un groupe Biélorusse en Europe, nous sommes tout de même heureuses d’avoir rencontré certaines personnes sur notre route pour nous faciliter les choses.
Supporter les petites initiatives reste une priorité pour nous. Jouer en gros festival c’est cool, mais un concert dans un petit club organisé par des ami.e.s est toujours plus appréciable pour nous. On se rappelle souvent de notre mini-tour des petites villes Biélorusses où nous jouions littéralement dans des garages devant pas mal de locaux.
Solidarité, égalité, unité, voilà ce que nous évoque le DIY.

Comment voyez-vous l’avenir pour Messed Up ?
On est déjà pas mal chanceuses. On est amies depuis 8 ans maintenant. Cette amitié a été mise à rude épreuve. Nous pouvons dire que sommes toutes confidentes maintenant. Pour nous l’avenir, c’est de nouvelles chansons, de nouveaux pays où jouer, de nouveaux liens à tisser. En apprendre d’avantage sur d’autres scènes, parler de la notre, expliquer ce qu’il en est de la Biélorussie, voilà ce qui nous motive. On espère que les choses iront dans ce sens malgré les difficultés !
Des sorties musicales à recommander ?
Karramba – du hardcore Biélorusse.
Contra la contra – groupe anarcho-punk légendaire en Biélorussie.
Pestpocken – le plus cool des groupes punk allemands.
Akne kid joe – Punk allemande bien fun.
Krav Boca- 😉 ;
Kenny Kenny Oh Oh – groupe féministe Allemand.
Social Enemies – hardcore Allemand.
Chain Cult – post punk de Grèce […]