LANSKY NAMEK
(Rap, Marseille)
INTERVIEW
Pur produit du quartier de la Plaine à Marseille, Lansky Namek est une artiste unique !
Proche des ultras et des virages surchauffés du Vélodrome, elle excelle dans le rap qu’il soit kické ou chanté.
Tout en laissant éclater sa rage entre sonorités metal, grunge et punk-hardcore avec son groupe : Vodk47 ! Une interview cash et sans filtre avec une rappeuse hyperactive, faisant brûler son quotidien sous le feu de sa passion.
Propos recueillis par Polka B.


Peux-tu nous parler de ton enfance à Marseille ? Quels étaient tes premiers contacts avec la musique ?
Très vaste question ! Mon enfance n’a pas baigné dans la joie, loin de là… Depuis gamine, j’étais vachement dans la colère. Mon échappatoire, je l’ai trouvé dans la musique. C’est arrivé dans ma vie car avec ma grand-mère tzigane, j’ai toujours été entourée d’instruments. Il y avait quand même un côté mélomane dans ma famille, j’ai grandi dans les chants russes et slaves.
À côté, il y avait mes cousins, c’est eux qui m’ont fait découvrir le punk et le metal quand j’étais toute petite. Je me suis mise à jouer de la guitare en autodidacte.
Après, j’ai toujours traîné avec des gens plus vieux, dans les bars et dans la rue. Au local de supporters aussi. C’est là que j’ai découvert des groupes comme Massilia Sound System. Je parlais à plein de gens, tout le temps. Toutes mes découvertes viennent de là. La musique pour moi, c’est le partage.
Tu te souviens des premiers concerts où tu allais ?
Quand j’étais enfant je n’en ai pas fait beaucoup. Ado ouais. J’ai été indépendante à 15 ans, et je faisais plein d’open mics. Je me souviens des débuts du Molotov, juste après l’époque du Balthazar. Hazem me faisait rentrer gratuit. Mais j’aimais trop ça, alors j’ai mis de côté pour m’acheter ma première place. C’est parti comme ça. J’allais aussi à la Salle Gueule où ils passaient plutôt du punk.
Comment as-tu commencé à rapper ?
De façon hyper évidente, grâce à mon prof de CM1 dis-toi ! Y’a rien qui m’intéressait vraiment, je foutais le bordel. Alors il est venu me voir et il m’a parlé de ça.
Que la poésie, je pouvais la rapper. À 12 ans quand même, ça demandait un peu de courage.
Mais je l’ai fait. Lansky Namek c’est mon blaze depuis toujours. Lansky pour le côté polonais de ma famille. Namek pour le côté graffiti. Et c’est resté.
Que représentait le rap pour toi ?
Une façon de me délivrer. Mon exutoire par rapport à l’injustice, l’enfance et l’adolescence que j’ai eu… tout ce qui me met en colère dans la société.
Sans ça, je voulais boxer des gens dans la rue ! Ça m’a ouvert les yeux sur ce que je voulais faire et construire. C’est comme ça que je suis allée vers les autres.
Je croisais quelqu’un, on parlait et direct je me mettais à rapper! J’ai pas cherché plus loin. C’était instinctif. C’est encore comme ça aujourd’hui. J’ai grandi à la Plaine. C’est vivant, populaire, très hip-hop. Tu le vois : tout le monde se parle, il y a du graffiti partout, ça peint en pleine journée…

Quel est ton rapport au foot et à la culture supporter à Marseille ?

Toute petite à mes 4-5 ans, je faisais mes premières fugues et j’ai atterri dans le local des supporters.
Ma famille n’était pas du tout dans le délire foot, mais moi j’étais entouré de gars qui chantaient à l’apéro l’aprem. J’ai baigné dans cette ferveur, dans l’antifascisme, dans l’histoire du club… Depuis minot, j’ai été dans ce truc. C’est arrivé en même temps que le sport. Je mettais tout au même niveau.
Le rap, le foot, le muay thai. C’était ma vie. Le fait d’être à Marseille compte beaucoup, car tout est lié. C’était les mêmes valeurs fédératrices. La solidarité, le respect. Tout ce qui me donnait la force de me battre et de résister.
Ce qui marque dans ton rap, c’est l’ouverture musicale. Tu rappes sur du boom-bap (« Liquide d’Hadès »), tu chantes (« Arkham »), tu poses sur des instrus typées « Marseille années 2000 » (« Je ne suis qu’un chiffre »), tu fais de la trap (« Le Oaï »)… D’où te viens ce côté tout-terrain ?
J’aime tout faire. Les genres musicaux sont multiples, tu peux tout mêler si t’en a envie. La fusion pour moi, c’est l’essence même de la création. J’aime aussi le côté défi, celui de prendre n’importe quelle prod. C’est là où je me sens le plus à l’aise. J’ai pas de créneau. Je m’amuse, j’ai pas de limite. Sinon pour moi, ça vaut pas le coup. Je ne pense pas à qui je vais cibler. J’en ai rien à faire. Si je touche une personne c’est déjà beaucoup ! Le fait d’être conforme à une industrie, ça me débecte. J’ai pas besoin de plaire.
Tu dis ça mais tes enregistrements et tes clips sont carrés ! Tu envoies quand même de la qualité.
Si tu veux pas faire bien les choses ne les fait pas. C’est ce que je me dis. Je fais tout au maximum avec les moyens que j’ai. Je n’ai pas d’espérance folle avec la musique. J’ai déjà donné des ateliers d’écriture, et je me dis que j’aimerais bien en vivre.
Mais je ne suis pas prête à tout pour rentrer dans des cases. Je suis partagée entre ça, et la volonté de me faire plaisir en sortant des trucs bien.
Il me semble que tu as travaillé dans le social. Le fait d’avoir une rentrée d’argent stable à côté de la musique t’aide à avoir ce recul ?
J’ai longtemps travaillé dans le social, c’est vrai. Je bosse toujours dans deux associations que j’ai monté. Le RCQ (Le « Rap C Quoi ») qui permet de transmettre des ondes positives à travers le rap, et « Massilia Unity » où on monte des concerts gratuits. On produit aussi de jeunes artistes qui sont issus de milieux défavorisés ou qui ont été incarcérés.
Aujourd’hui je suis aide-soignante. Je me suis reconvertie, car le social ne payait pas assez et c’est très important pour moi de ne pas demander de subventions. Quémander des sous c’est pas mon truc. Je ne veux pas leur rendre de comptes. C’est le peuple pour le peuple.


Et ton groupe Vodk47 ? C’est assez rare que les rappeurs fassent du rock en vrai !
Quand même, il y a Body Count !
C’est vrai ! Mais c’est hyper old school !
Mais pour moi ça vient de là ! C’est pour ça que j’en fait ! Quand j’étais au lycée, j’avais déjà un groupe, je faisais déjà du punk et un peu de metal. J’aime le côté hardcore aussi…
On est à peu près de la même génération. Et dans la cour du collège, ceux qui aimaient le rap ne traînaient pas du tout avec ceux qui écoutaient Korn et qui étaient habillés en noir ! C’était totalement séparé…
C’est vrai ! Il y avait le camp de ceux qui étaient dans le rap, et le camp des gens qui écoutaient Muse, Deftones… Mais moi je m’en foutais. Comme je te disais, j’ai toujours refusé qu’on me catégorise. J’étais un peu la meuf solitaire qui défendait le gars qui se faisait taper dessus ! Ceux qui étaient pas contents c’était pareil. A 12 ans je pensais déjà comme ça… J’avais une curiosité naturelle. Pas de barrière. Dans le rock, il y avait cet appel à insurrection. Ce truc de révolte. Ça m’a parlé direct. Dans le hardcore, il y avait des batteries qui sonnaient hip-hop. Dans la façon de s’habiller aussi, ça portait des trucs larges. L’attitude aussi… Franchement je ne voyais pas d’opposition entre les deux.
Comment définirais-tu Vodk47 ?
On est partis sur une fusion de grunge et de hardcore. Deux opposés improbables ! Mais je suis fière de ce qu’on est en train de construire. Cela naît d’un ras-le-bol de l’industrie liée au rap, car pour moi le hip-hop est un mouvement avant tout. Les modes, le fait de raconter une histoire, d’être dans le fake pour avoir des followers… franchement nique sa mère.
On est des punks, on a pas besoin de ça. Je suis à l’opposé de ce système. Personnellement, j’avais envie de re-gueuler dans un micro, de prendre d’autres vibes.
Je m’épanouis beaucoup, je me sens vraiment plus libre que dans le rap. Les gars du groupe sont très motivés, on ne va pas lâcher l’affaire. C’est la bagarrologie ! La violence ne résout rien, mais on peut se faire du bien à travers un bon pogo !
Comment a réagi ton public qui te connaissait pour le rap ?
Ils étaient choqués ! Ils ne s’attendaient pas à ça ! Le cercle proche non, car ils connaissent mon côté caméléon. Pour eux c’était logique.
Mais pour certains c’est comme si j’avais pété les plombs ! Je ne suis pas du tout dans ce truc de puristes. J’aime faire plein de choses différentes, et encore plus les transmettre aux autres. Le rap des fois c’est trop répétitif. Tu fais un seize mesures, refrain, un seize mesures, refrain… Au bout d’un moment c’est bon. Même dans ce que je disais. Je sentais que je me bridais. Là, je me lâche vraiment.


Qu’est-ce que tu écoutes dans le délire ?
Merciless, le dernier album de Bodycount sorti l’an passé. C’est vraiment une dinguerie. J’écoute des vieux sons je t’avoue ! Des groupes de hardcore comme Backtrack... Pour les besoins du projet je me suis pas mal replongé dans le grunge. Et je ne pourrai jamais me passer d’écouter du trash ! Je suis une grande fan de Slayer et Sepultura. Il y a plein de groupes à Marseille qui se montent tout le temps. Le problème, c’est le manque de lieu pour faire des concerts…
Que penses-tu de la nouvelle scène metal venue de Marseille, et mise en lumière par Landmvrks ?
Sans te mentir j’ai un peu de mal avec le metal moderne, et tout ce qui est nu-metal. Mais je respecte à fond ! D’ailleurs la chanteuse de The Novelists est une bonne copine. C’est juste que personnellement j’aime le son crade. Quand c’est lisse, c’est moins ma came. J’ai besoin de bordel ! C’est pour ça que j’ai écouté cette musique.
C’est marrant, même quand tu rappes sur un morceau trap comme « Le Oaï », on ressent ce côté punk dans le grain de ta voix !
C’est vrai que pour le coup, la prod fait très actuelle. Le mix aussi. Mais mon interprétation, ma voix, c’est totalement autre chose. Dans mes écoutes, j’essaie de m’éloigner de ce qui se fait actuellement. C’est vraiment volontaire. J’ai envie d’être raccord avec moi-même.
Tu fréquentes des gens de la scène rap actuelle à Marseille ?
Bien sûr ! J’ai trop d’amis qui déchirent tout. Il y a Stony Stone par exemple. C’est pas ce que j’écoute, mais c’est le poto ! Et ça fait plaisir. Zamdane aussi. Rien à dire ! Il y a Maze aussi parmi les nouveaux. Ce n’est pas mon délire musical, mais mentalité solidaire. Marseille quoi !

C’est la fin de l’interview, merci à toi !
Merci à toi premièrement ! Et dédicace à mon guitariste et mon batteur qui ont monté un nouveau groupe avec des mecs d’Unfit. Ça s’appelle Filade et c’est très cool.
Tu n’es pas dedans ?
Et non, je peux pas screamer tout le temps non plus ! En vrai, je dors que 3 heures par nuit, et après c’est reparti, mais si il y a trop de projets en même temps je peux pas me donner à 100% !