Anarchy Circus Crew
Crochets sous la peau, et lévitation dans toutes sortes de positions ! Vous avez peut-être découvert l’activité du crew suite au reportage de Tracks sur Arte !
Originaires du sud-ouest de la France, les « Anarchy Circus Crew » réinventent les codes du cirque et se revendiquent des freak shows à travers la pratique de la suspension corporelle !
Dans des spectacles hors-normes, les performeurs dépassent leurs peurs en collectif, encouragés par des éclats de rire et armés d’une bienveillance à toute épreuve !
On s’est donné rendez-vous à Toulouse pour en discuter plus en détail après notre rencontre aux 30 ans de Techno+ …
Propos recueillis par Polka B. / Photos : L’œil du Yak


Comment est né le collectif ? Comment vous-êtes vous connu.e.s et rassemblé.e.s ?
Mathieu : Je suis originaire de Toulouse. Quand je suis arrivé dans le Gers, Lia m’a tatoué, m’a scarifié, et on a sympathisé. On a commencé la suspension dans le grenier, juste pour le kiff.
Lia Bagarre : On a débuté entre potes. Un jour, on a été invité.e.s par une convention de tatouage en Belgique. On a donc imaginé un spectacle autour de la suspension, avec des costumes et la volonté de créer un show.
Élise : Moi je viens d’arriver dans le groupe ! J’aime ce côté famille. Tout le monde est bienveillant, ouvert d’esprit. C’est ce qui m’a plu.
Punko : J’ai fait ma première initiation en suspension il y a maintenant deux ans. Je pensais vraiment que ce serait la seule ! J’en avais très peur. Mais je ne voulais pas mourir con, alors j’y suis allé ! De fil en aiguille, j’ai commencé à me déguiser, j’en ai refait et j’ai aimé cette dynamique de groupe.
Pourquoi avoir choisi cette imagerie autour du cirque ? Pourriez-vous décrire votre univers ?
Lia Bagarre : Cela se rapproche du freak show. On avait envie de dédramatiser la pratique de la suspension en elle-même. D’entrée, les gens peuvent un peu être choqués par la démarche. Le fait de se grimer change un peu le rapport au public. On veut amener un aspect plus festif, avenant et ludique.
Punko : Mon déguisement, c’est une cagoule. En ce qui me concerne, c’est une sorte d’armure. Cela m’aide à rigoler, à échanger, à oser. C’est mon costume de super-héros. Je peux m’éclater, sans crainte d’être jugé. On a chacun notre personnage. Je trouve la figure du clown hyper forte. On peut rire, faire rire, ou inspirer un petit côté inquiétant. C’est une boîte à outils d’émotions.
Mathieu : On est souvent traité.e.s de monstre à cause de notre apparence. Avec ce côté « freaks », on retourne la situation à notre avantage. Cela devient un spectacle à part entière. On parvient à toucher les gens d’une autre manière.
Élise : On nous fait ce genre de retour : « si vous n’étiez pas grimés, cela m’aurait plus choqué ». Le fait d’apporter de la légèreté créée une communion. On fait de la barbe à papa, des pommes d’amour, on décore avec des ballons d’hélium… On est hors-du-temps, tous ensemble.


Sélectionnez-vous votre public ? Dans le sens où certaines personnes peuvent être choquées par la suspension ? Êtes-vous dans une optique de prévention ?
Lia Bagarre : On ne sélectionne absolument pas notre public. Pour moi, c’est un art comme un autre. J’aurais tendance à le démocratiser partout, sans me poser de questions. À la demande des orgas, on met des panneaux « Pour public averti ». Honnêtement, le public réagit très bien. Et les enfants aussi d’ailleurs ! Ce sont souvent les adultes qui se mettent le plus de barrières…
Punko : Souvent, les enfants absorbent les peurs de parents. C’est là ou ce travail de dédramatisation prend tout son sens.
Élise : Le public est toujours averti de ce qui va se passer. Libre à chacun.e d’y assister ou non !
Qu’est-ce que vous ressentez en le faisant ? On sent qu’il y a un côté addictif dans l’exercice de la pratique…
Lia Bagarre: Complètement ! Physiquement et physiologiquement : de l’adrénaline, de l’endorphine ! Comme tous les gens qui font des sports extrêmes. Après, il y a tout le côté psychologique : le dépassement de soi, la confiance, le partage… Cela crée des instants uniques, très riches en émotion.
Mathieu : Et assez difficile à expliquer ! Une fois, une fille s’était suspendue dans la position du scorpion. Cambrée, avec deux crochets dans le dos, et deux aux genoux. À un moment, elle a retiré ceux du dos pour rester uniquement suspendue aux genoux. Avec la musique, le moment est devenu magique, incroyable.

Je voudrais parler de la préparation mentale que la suspension nécessite. En quoi cela consiste ? Pourquoi est-ce si important ?
Punko : C’est vrai que pour la personne suspendue, l’enjeu reste sérieux. Alors on se met dans une bulle, le ton de nos voix change dans les 10 minutes qui précèdent le perçage. C’est Lia qui se charge de ça.
Lia Bagarre : La personne qui se fait percer doit être mise dans certaines conditions. C’est une lutte contre soi-même. On se recentre aussi, pour se connecter avec la personne qui doit se faire suspendre. Cela dépend des spécificités de chacun. Punko a très peur des piqûres. Mathieu beaucoup moins.
Car même si c’est un plaisir pour vous, la pratique de la suspension n’est pas anodine !
Lia Bagarre : C’est clair ! On doit avoir bien dormi la veille. On partage toujours un repas avant les suspensions. On se recentre. On accepte la douleur. On accompagne dans le dépassement. On est vraiment là pour la personne qui se fait suspendre.
Mathieu : Ce moment de préparation est super important.
Punko : Des personnes préfèrent aussi être seules au moment du perçage. Perso, me sentir entouré de tout l’équipe compte vraiment pour moi. Cela m’aide de me sentir épaulé, de ressentir cette bienveillance.


Et ce qui est intéressant, c’est que la « mise en danger » donne tout le charme à la pratique.
Sans la notion de douleur, la performance serait moins impressionnante, non ?
Lia Bagarre : Personnellement, je n’y vois rien de dangereux. Sincèrement, la seule barrière est mentale. L’épiderme est très résistante. On sait pertinemment que la peau ne peut pas craquer.
Élise : Le corps en est capable. Cela dépasse largement la pratique de la suspension. Le stress est toujours présent dans la vie. Alors comment le dépasser pour en faire quelque chose de porteur ? C’est ce qui est attirant là-dedans. C’est une recherche de soi-même.
Punko : Et pour opérer ce dépassement, on prend soin les uns des autres.
Lia Bagarre : Il y a de la douleur et cela fait partie du process, mais ce n’est pas la recherche première au sein de notre crew. Nous ne sommes pas dans le masochisme.
Mathieu : Quand tu le fais et que tu réalises que tu en es capable, cela te mets bien ton corps et dans ta tête. Les moments de douleur sont assez courts finalement. Cela arrive au perçage, et au moment du décollage. Après, tu te stabilises, et la sensation est plutôt agréable !

Est-ce une thérapie ?
Mathieu : Oui, et pour nous toustes ! Cela nous soigne.
Punko : Même l’acte du piercing est beaucoup moins douloureux pour moi aujourd’hui.
Lia Bagarre : Cela nous renforce dans tous les domaines. Surtout au niveau psychologique. On se sent plus prêt.e.s à affronter les choses.
Punko : Si on peut se faire suspendre, on se dit qu’on est capables de beaucoup de choses dans la vie. Personnellement, j’en retire une certaine fierté. Car comme je l’ai dit, je m’en pensais incapable au début.
On dit que le corps a une mémoire. Par exemple, les gens très tatoués ressentent de plus en plus la douleur de l’aiguille au fil des pièces.
Est-ce la même chose pour vous ?
Punko : Je pense que c’est très différent. Le tatouage, c’est très long. C’est plus intense.
Lia Bagarre : On préfère tous se faire suspendre que tatouer !!
Mathieu : C’est clair !!


Quels sont vos projets pour la suite ?
Lia Bagarre : Continuer de faire des spectacles, et des initiations pour les gens. C’est dur d’arriver à jongler, car on travaille toustes à côté. On essaie de maintenir une session par mois au minimum. On voudrait faire davantage de spectacles. Mais on démarche assez peu au final… Par contre les demandes en initiation explosent !
Merci l’équipe, c’était très intéressant !
Merci à toi !

