Accion Mutante Collective

Antifa kickboxing, punk, hip-hop, breakdance … L’asso Accion Mutante a créé son propre écosystème alternatif à Kavala, en bord de mer au nord-est de la Grèce, non-loin de la frontière turque. C’est là que nous avons rencontré Géorgia et les deux frères Diamantis & Stelios. Ensemble, nous avons retracé 20 ans d’activisme, de passion, de résilience et de conviction. | Propos Recueillis par Polka B.

Dans quel contexte avez vous créé Accion Mutante ?

Diamantis : Tout a commencé en 1999. C’était vraiment pour s’amuser à la base. On était jeunes, on voulait organiser un concert avec des potes de notre quartier. Le tout premier avait eu lieu dans la rue. Nous avions emprunté un système son à l’université. C’était vraiment fou pour l’époque. Malgré les difficultés nous avons réussi à le faire. C’était très drôle parce qu’il y avait beaucoup de familles dans le skatepark qui ne comprenaient pas du tout ce qu’on était en train de faire. C’était le punk rock de la fin des années 90. Le mouvement était bien plus fort qu’aujourd’hui. Après plusieurs concerts, on s’est dit qu’on voulait y intégrer notre façon de penser. Quelque chose de plus DIY et de plus engagé, comme collecter de l’argent pour les prisonniers politiques. On a développé cet état d’esprit à partir de 2001.

Avez-vous toujours porté cette double identité, à la fois punk et hip-hop ?

Stelios : le hip-hop est venu beaucoup plus tard…

D : Oui, la vérité c’est qu’on a commencé via la scène punk rock. Ce qui est très étrange, c’est que cette scène a toujours été DIY en Grèce. Si tu es dans la scène punk rock et que tu essaies de devenir plus commercial, c’est hyper mal vu. C’est toujours vrai aujourd’hui. Je ne sais pas comment c’est arrivé. Je pense que cela n’existe qu’en Grèce, peut-être au Chili ou dans d’autres pays en Amérique latine… Partout ailleurs, le punk a perdu en éthique. Concernant le hip-hop, le lien était évident. Nous avons toujours défendu la musique issue de la rue. Comme dans le cadre de l’organisation de notre festival par exemple.

S : A l’origine, nous voulions juste organiser des festivals punk. Petit à petit, la scène hip-hop undergound a grandi sur le même mode de fonctionnement que la scène punk. De façon très simple. Les gens trouvaient de beaux endroits, avec un mode d’organisation convivial et facile d’accès. Cela a commencé à Athènes. Rapidement, des concerts de ce type se sont multipliés dans toute la Grèce, dans les squats et dans la rue. Nous avons commencé ici en 2005. On peut dire que Kavala a été la première petite ville grecque à développer des scène de hip-hop live sur le modèle du punk.

Il semble que vous ayez une grande tradition hip-hop à Kavala. Les graffitis sont anciens, et très respectés par les nouvelles génération. Pourquoi la culture alternative de la ville est-elle si forte malgré son isolement ?

S : Je ne pense pas que cela soit seulement à Kavala. Je pense que c’est un peu la même chose dans toutes les villes.

D : Ici très tôt, beaucoup de jeunes se sont opposés au conservatisme ambiant. Le graffiti, le punk, le skate… c’était leur truc. Il voulaient vraiment s’organiser ensemble pour faire vivre cette sous-culture. Au début des années 90, les infoshops et les squats politiques ont commencé à organiser des concerts de façon beaucoup plus régulière. À Thessalonique notamment. Les premiers groupes allemands, suédois et suisses sont venus jouer dans le nord de la Grèce. Ils ont commencé à passer à Xánthi  et Komotini… C’était l’occasion de créer notre propre réseau pour les accueillir. Je me souviens d’un groupe américain de Portland qui était venu jouer ici pour la première fois . Il s’appelait « Tragedy ». Ils nous ont dit que pour eux, la tragédie était une très bonne motivation pour composer des chansons punk et hardcore. Ça nous a marqué. On s’est dit : « pourquoi ne pas faire pareil pour le hip-hop » ? A l’époque en Grèce, tout le monde écoutait du hip-hop. Mais au niveau des concerts, la scène n’était pas aussi solide et structurée que dans le punk. C’est aussi pour cela que nous avons créé notre festival qui a fait l’identité d’Accion Mutante. Le hip-hop et le punk doivent partir de la base : pas de sponsors, pas d’entrée payante, pas de sécurité, le tout dans une mentalité antisexiste. Sur ce dernier point, ce n’est pas toujours facile dans le milieu du hip-hop…

Vous avez toujours été très impliqués politiquement. Comment faites-vous le lien entre vos activités culturelles, le hip-hop, le breakdance, le punk, la boxe et votre engagement politique ?

Géorgia : Notre base, c’est la chose politique. C’est ce que nous sommes. Nous sommes antifascistes, antisexistes… tout ce qui est « anti » (Rires). Nous intégrons nos convictions dans tout ce que nous faisons : les concerts, les projections, les cours de boxe… tout !

S : Nos idées passent par les tâches quotidiennes à l’intérieur de nos espaces, à travers les cours de boxe ou de breakdance. L’organisation des entraînements, la répartition des équipements,  le fonctionnement du squat… il est possible d’apprendre l’autogestion comme ça. Sur le tas. Nous parlons de jeunes gens qui parfois ne réalisent pas que ce qu’ils font est politique. Pour apprendre, il est important de partir du début. C’est pour cela qu’on insiste tant que les racines du mouvement, le « old school » et le retour aux sources. On démarre dans la rue, et on essaie de s’organiser. La racine de tout cela, ce sont les liens amicaux.

D : C’est ce qu’on a voulu faire. Lier le graffiti, la musique hip-hop, et le breakdance avec une attitude punk DIY et une motivation politique. En Grèce, tout est politique. Je ne sais pas comment, ni pourquoi. En tout cas, si votre action ou votre musique n’est pas politique, c’est que vous ne faites pas vraiment partie de la scène. C’est parfois très bien, mais cela peut aussi causer des problèmes. Dans un milieu politique underground sain, il y a beaucoup de groupes qui se battent entre eux. C’est normal, parce qu’ils se sentent libres d’exprimer leur avis. Ce que je retiens de tout cela, c’est que la production de la scène musicale underground est vraiment de très bonne qualité en Grèce. Certains groupes sont vraiment très suivis, alors qu’ils sont clairement restés anti-commerciaux. On peut parler de musique populaire. Ce n’est pas rien !

Votre association existe depuis plus de 20 ans. Qu’est ce qui vous motive aujourd’hui ?

D : La revendication d’un mode de vie. Nous devons aussi nous battre contre nous-mêmes, parce que nous avons grandi dans des familles traditionalistes. Ici, il est très difficile de s’organiser en trouvant des personnes qui ont des valeurs communes avec les nôtres, de trouver des gens de la rue qui soient hardcore avec une attitude différente. Nous l’avons vite compris. Si tu grandis dans une société conservatrice, tu te dois de faire quelque chose par toi-même. Kavala est une ville particulièrement conservatrice. Il n’y a pas d’opportunité culturelle. Du coup, nous produisons ces éléments culturels nous-mêmes. Nous projetons des films, nous organisons des discussions, des concerts à l’université, des spectacles de rue avec le breakdance… Nous avons aussi des amis réfugiés qui nous aident à former des gens du camp de réfugiés. Nous les impliquons aussi dans l’Antifa kickboxing. C’est important, car les gens réfractaires et fermés ne veulent absolument pas qu’ils s’immiscent dans la vie sociale aux côtés du peuple. Tout ce que je fais s’inscrit dans un mode de vie. C’est aussi un moyen de vivre, je veux faire ma part. Sinon je ne suis qu’un hipster, quelque chose comme ça !

Il semble important pour vous d’impliquer les nouvelles générations dans vos activités. Avez-vous réussi à le faire ?

G : Le hip-hop et le breakdance ont attiré beaucoup de jeunes. Les films et l’Antifa kickboxing de façon plus indirecte. Certaines personnes veulent juste apprendre des choses ou simplement voir un film.  Après, elles viennent vous poser des questions. Si vous vous asseyez et parlez avec elles, non pas comme une mère qui va leur dire quoi faire, mais comme un ami, cela change la donne. On ne leur fait jamais sentir que nous sommes plus âgés qu’elles. Alors, souvent, ces personnes reviennent d’elles-mêmes. Elles ont envie de participer et d’apprendre l’autogestion. Et elles le font avec plaisir !

Pourquoi avez vous souhaité développer l’enseignement de sports de combat ?

D : Il y avait déjà une grande tradition de boxe et d’arts martiaux à Kavala. Cela a été une porte d’entrée pour accéder à des lieux où nous n’aurions jamais pu être acceptés. Nous avons même commencé à aller dans les écoles pour enseigner ! Le sport dans une société, c’est une des choses les plus communes. La boxe est une pratique très ouverte. Nous avons souhaité y intégrer nos principes de vie. Comme d’habitude : pas de sponsors et pas de sécurité. Le choix de la boxe, ce n’était pas un hasard mais une nécessité. Et pas seulement pour se protéger. Au début des années 90, il y avait un gros problème de drogue en Grèce, et en particulier à Kavala au sein du mouvement punk. Cela s’est aussi produit en Turquie. Là-bas, le gouvernement a plus ou moins fermé les yeux sur la vente d’héroïne pour qu’elle rende les gens accros et inoffensifs. Nous avons essayé de réagir à notre niveau. Chez nous, le sport a éloigné beaucoup de jeunes de la drogue. Le breakdance aussi. Stelios fréquente beaucoup de jeunes de familles très pauvres ou de familles de migrants qui entreraient facilement dans un mode de vie illégal si ils n’avaient pas la moindre activité… C’est un travail que le gouvernement et l’État ne feront jamais. Mais on ne fait pas tout ça pour « sauver » qui que ce soit. On le fait car on aime ça !

Au niveau de l’organisation de concerts, vous entretenez toujours des liens avec des associations bulgare et turques. Les connexions sont-elles en train de s’étendre entre scène alternatives de ces différents pays ?

D : Nous avons commencé à nous entraider, notamment avec nos amis bulgares. Pour être honnête, ces connections sont encore fragiles. Notre vie quotidienne est difficile. Nous sommes très occupés, il est donc difficile de voyager et d’échanger des informations. En Albanie, en Bulgarie, et en Turquie les anarchistes sont particulièrement surveillés.  La situation est folle ici dans les Balkans. Je pense que ce n’est qu’en coopérant que nous pourrons établir des liens et entretenir quelque chose de réel. C’est très difficile car le nationalisme est toujours très implanté.

Quels sont vos prochains projets ?

D : On ne t’a pas encore parlé de nos actions pour les chiens de la rue ! Il y a beaucoup de chiens errants en Grèce, et beaucoup de gens qui n’aiment pas les animaux déposent du poison un peu partout. C’est un grand problème ici. Ils ont tué beaucoup de chiens et de chats, mais quand nous sommes passés à l’action, ils ont commencé à avoir un peu peur… Ensuite, il y a notre combat concernant les plans énergétiques et les constructions d’usine au nord de la Grèce. Après la crise, l’État a réfléchi à la possibilité de transformer notre région en un très gros générateur pour l’Europe.  En gros, ils ont imaginé tout une moitié de la Grèce dédiée aux touristes et aux maisons des riches Européens. Le nord du pays, lui, serait amené à devenir une grande batterie d’énergie pour l’occident. Pour nous, tout est lié. Tout est politique. L’ écologie, les chiens de la rue, les anarchistes, les prisonniers anarchistes, les prisonniers, les réfugiés… Absolument tout.