Et s’ouvre enfin la maison close

Et s’ouvre enfin la maison close

Nathan Golshem


L’histoire orale d’un squat au tournant du siècle,
Revue Demain les Flammes (Numéro 6)

2022

(Chronique livre)


L’excellente revue Demain les Flammes sort un livre en guise de sixième numéro ! 140 pages sérigraphiées et reliées à la main, avec une couverture en feutrine rouge mat « effet velours » au toucher !

Et s’ouvre enfin la maison close raconte l’histoire du « Clandé », un squat ouvert dans un ancien bordel gothique en plein centre-ville de Toulouse, 9 rue de Quéven. Une décennie d’aventures vues du point de vue de ses occupants, de 1996 à 2006.

| Par Polka B. / Illus : Victor

Comment transmettre une histoire ? 

Quelle est la meilleure façon de retranscrire la somme d’émotions, de ressentis et d’avis subjectifs autour d’une occupation illégale ayant rassemblé tant d’énergies et d’expériences différentes ? Pour réussir ce tour de force, Nathan Golshem donne directement la parole aux personnes ayant vécu cette expérience de l’intérieur. 
Au travers d’une vingtaine de témoignages, l’ouvrage propose, sans aucune hiérarchie entre les intervenants, de montrer comment ce bout de chemin au Clandé a changé leurs vies et orienté leurs choix. Ainsi, « l’écrivain » (au sens de « celui qui écrit ») devient un monteur, au même titre que le documentariste vidéo.

Tout le talent de l’auteur a été de sélectionner les passages pertinents, de reclasser les parties des différentes interviews pour les mettre dans l’ordre, afin que les paroles des protagonistes se complètent dans une suite chronologique et cohérente. 

Une étudiante originaire de Grasse (Alexia), un punk de Castres jouant dans le groupe Légitime Défonce (Eric), un voyageur sans domicile fixe (Mickaël), une jeune squatteuse italienne fan des Bérus (Morgane), un anarchiste ayant vécu au Mexique avec les zapatistes (Jules), une militante issue des mouvements de lutte contre l’Espagne franquiste (Diane), un squatteur chevronné ayant fait ses classes à Berlin (François)… à chaque personnage, sa vérité et sa vision. On ne peut que se passionner pour ces trajectoires de vies retranscrites de façon si intimes et sincères.

Ici, les idées politiques ne prennent pas une forme théorique et impersonnelle. Elles s’appliquent dans l’action avec leurs lots d’aventures, de rêves, de joies, de galères et de déceptions.

Une lecture passionnante qui nous a rappelé le livre Free Party (Une histoire, des Histoires) de Guillaume Kosmicki paru aux éditions Le Mot et Le Reste en 2020.
Là encore, on s’était régalés sur  une somme d’entretiens réalisés sur un panel varié de représentants du mouvement.

Des anciens, des nouveaux, des figures historiques, des anonymes, des organisateurs, des teufeurs engagés, des musiciens, des cuisiniers, des doux rêveurs, des activistes, des touche-à-tout… Quoi de mieux qu’une série de tranches de vie livrées sans détour ? Et si c’était la meilleure façon de comprendre un mouvement, dans sa complexité et sa diversité ?

Pour finir cette chronique, on vous laisse avec ces mots de l’auteur issus du prologue de Et s’ouvre enfin la maison close, :

Ce livre cherche à transcrire un bout des émotions qu’une aventure aussi forte a pu susciter chez les gens qui l’ont vécue. Alors, si le Clandé ne vous évoque rien, si vous ne connaissez pas la ville où il a existé -Toulouse-, si vous n’avez jamais mis les pieds dans un squat, tant mieux.  Puisse ce livre vous égarer dans cet univers fécond où s’ébattent des gens emportés par des imaginaires politiques et culturels d’une rare puissance. 

Entretien avec Nathan Golshem


Qu’est ce qui t’a motivé à écrire ce livre ?

J’ai découvert les scènes punk, libertaires et anarchistes vers 2008 quand je suis entré au lycée. J’ai débarqué à l’infoshop du Kiosk qui était une émanation du Clandé. Au contact des personnes qui m’entouraient, j’ai réalisé que ce squat avait marqué beaucoup de gens. J’avais l’impression qu’il y avait un déficit de transmission (qui est essentiellement orale) autour de l’histoire de ce genre de lieux. J’ai commencé à m’y atteler en 2016, et j’ai fini d’écrire en 2021.

Pourquoi avoir choisi de retranscrire cette histoire par le biais d’entretiens ?

J’avais besoin de cet élan. Les personnes qui ont animé le Clandé en parlent avec des étoiles dans les yeux car c’est une partie de leur jeunesse. Et en même temps, je ne voulais pas mystifier le lieu. Je voulais raconter l’histoire d’un espace qui aurait pu en être un autre, de façon sincère et honnête.

Ce n’est pas « le lieu par excellence ». C’est une histoire collective, avec toutes ses complexités. Quelque part, Le Clandé sert de décor pour aborder toutes sortes de sujets, alimentés par les anecdotes.

Comment as-tu mené les entretiens ? De quelle façon les as-tu « assemblés » ?

Je me suis rendu compte que certains sujets revenaient. Certains m’intéressaient plus que d’autres… Au fur et à mesure des entretiens, j’ai orienté mes questions vers des sujets de plus en plus précis. Pour le « montage », je n’avais pas de technique particulière. J’ai du m’enfermer une semaine complète et ne faire que ça, histoire d’avoir tous les détails en tête. Cela a beau être un livre de témoignages, la façon de les ordonner reste subjective. Je voulais aussi que le récit soit fluide et agréable à lire.