LA GOULE

LA GOULE

Les dessins de La Goule sont d’abord le fruit d’une émancipation. D’une libération. Le cri d’être soi-même, de revendiquer haut et fort sa sexualité et son identité de genre. Après sa transition, la dessinatrice a pu parler d’elle plus librement dans ses créations, faisant voler en éclat les « normes » de  représentations du corps. 

Un témoignage fort et intime que nous sommes particulièrement fièr.e.s de retranscrire dans ces pages, à l’heure où l’extrême droite et certains médias conservateurs font de la “question trans” une réelle obsession ! 

| Par Polka B.

Pourrais tu te présenter en quelques mots ?
Pourquoi « La Goule » ?

Peux-tu nous parler de ton parcours créatif ? As-tu commencé par le dessin ? 

Oui ! Je n’ai jamais pris de cours. Il n’y a pas longtemps j’ai testé les Beaux-Arts. Cela ne me convenait pas du tout, alors j’ai vite arrêté. Je n’arrivais pas à me conformer dans un truc institutionnel. À mes débuts, je dessinais sur des thèmes plutôt violents, genre des batailles avec des décapitations. Beaucoup de violence masculine. Ma mère se demandait si j’allais bien ! Cette surperformance montrait mon mal-être à l’époque..

Quelles étaient les références visuelles qui te parlaient ?

J’ai toujours lu beaucoup de bédés. Metal Hurlant m’a parlé pendant mon adolescence.

Quand j’ai découvert le punk, cela m’a particulièrement marqué. Les thèmes, les techniques, les codes esthétiques…

As-tu toujours aimé les détails dans tes illustrations ? Ces derniers temps, on note que tu aimes remplir les espaces en noir et blanc, avec des compositions très poussées. Comment s’est opéré ce changement dans tes productions ?

Je suis assez control freaks sur les détails, c’est vrai. Avant je faisais aussi des grands aplats de couleur. Je me suis éloigné de ça pour revenir au crayon à papier et ce côté croquis. J’ai toujours kiffé mettre plein de détails avec des références pour que l’ensemble fourmille de tout un tas de trucs.

J’aime le côté spontané. Pas la peine que tout soit totalement réaliste au niveau des proportions.

Cela doit prendre du temps. Est-ce important pour toi ? Quelle importance et quel impact a cette méthode sur le résultat ?

Cela prend carrément du temps. Des fois c’est pénible, car il y certaines parties que je n’aime pas beaucoup dessiner.
J’y passe quand même des heures, je ne sais pas pourquoi. Genre les vêtements, ça me stresse. Je préfère les visages. Je le fais malgré tout, car c’est l’ensemble qui m’intéresse. Je pense beaucoup à la composition finale en m’occupant des détails. Je veux juste représenter ce qu’il y a dans ma tête. Pour ça, je regarde des images, je choisis des références, je me prend carrément en photo dans certaines positions… Pour le tatouage c’est un peu différent. C’est plus spontané… mais cela me prend des heures quand même ! Je suis assez perfectionniste (mais c’était pire avant)…

Il semble que ton rapport à la création graphique ce soit politisé au fil du temps. Peux-tu nous en parler ? Et évoquer ton cheminement personnel ?

Comment tes dessins ont-il évolué, au fil de ta transition de genre ? Peux-tu identifier des « étapes » ?

Ils ont carrément évolué. Surtout dans la manière dont je représente les corps. Pour moi c’est très important. Dessiner des personnages c’est central chez moi. Ça me traverse depuis le début de ma transition : la question de la difformité, le fait de ne pas s’inscrire dans les normes de genre… ça se voit davantage dans mes flash tattoos. Mes dessins sont moins réalistes dans ce cadre-là, donc c’est assez logique.

En tant que femme trans, comment vis-tu la violente vague transphobe actuelle, portée par les médias dominants,  les éditorialistes conservateurs et l’extrême droite en général ? Sens-tu que cette vague à des effets concrets sur la perception des gens ?

La transphobie complètement décomplexée, je la vis depuis toute petite. Je l’ai constaté très tôt dans mon milieu familial. Mais j’ai senti un tournant lors de la période du mariage pour tous. J’ai tout de suite vu qu’on était perçu.e.s comme des personnes qui n’étaient pas humaines. Qu’on n’était même pas dignes de respect. C’est un truc très profond dans notre société.

Texte écrit par la Goule

Pour compléter, je dirais aussi que la situation que nous vivons actuellement fait écho aux paniques morales déjà connues pendant la crise du VIH et le mariage pour tous par rapport aux personnes homosexuelles. C’était le même discours. On les accusait de tout. De corrompre les enfants… ce genre de choses. Ce type d’idées n’est pas véhiculé pour rien. Le pouvoir a besoin de bouc-émissaires pour maintenir le patriarcat.

Ton texte illustré « FILLE, enfance et transitude » est particulièrement touchant. Il est aussi très politique. Est-ce ton objectif, via ta créativité, de relier directement ton intimité à ton activité militante ?

On sent chez toi, ce besoin de rendre public ce que tu ressens, pour que d’autres s’y reconnaissent et se sentent moins seul.e.s. Tu confirmes ce ressenti ? 

Quels sont tes objectifs ? 

Je veux vraiment placer la solidarité communautaire au centre de ce que je fais. Je veux m’inscrire là-dedans pour visibiliser les questionnement autour de la norme et du genre. À ma manière, je veux participer à cette lutte pour l’émancipation. Cela passe aussi par les événements, les rassemblements, les moments de convivialité, de solidarité. C’est bien plus que de la simple création de visuels. C’est l’occasion de participer à quelque chose et d’échanger avec des gens dans la vie réelle.

Tu aimerais ajouter quelque chose à cette interview ?

Je voulais parler du prix libre, que je continue à pratiquer dans le tatouage. Pour moi c’est grave important. Cela devient une pratique solidaire au sein de la communauté, qui s’inscrit dans une démarche de soin. Je ne veux pas me professionnaliser là-dedans. Mon activité dans l’illustration, c’est autre chose… Les deux pratiques sont bien scindées. Je ne fonctionne pas du tout pareil.

Je voudrais aussi dédicacer toutes les personnes qui m’entourent, qui sont là au quotidien et me donnent la force de continuer. Mes frères et sœurs trans, mes ami.es et mes amantes lesbiennes.

Tu peux nous laisser avec les morceaux (toutes musiques confondues) qui t’accompagnent en ce moment ?