VAL L’ENCLUME

Grisaille, pluie, usines désaffectées et vide culturel. Bienvenue en Moselle, The place to be. Ne riez pas. Et si l’ennui était nécessaire à l’expression de sa créativité ? Pour Val l’Enclume en tout cas, ce décor a bien été le lit de son inspiration. Il suffit d’écouter quelques chansons de son groupe, Oi Boys, pour s’en convaincre. Quand les rayons de lumière occasionnels viennent jaillir sous les nuances de gris. À l’inverse, ses illustrations accentuent le contraste dans une superposition de couleurs flash. 

Bien entendu, l’équipe de Karton s’est occupé de noircir le tableau. Ne comptez pas sur nous pour mettre un peu d’espoir dans notre mise en page ! 

Par Polka B. / Trad : Nino Futur

Es-tu originaire de Metz ?

Je suis originaire de Moselle. Je suis né à Thionville, petite ville triste et grise de 40 000 habitants ou règnent la mort et l’ennui.  C’est à 30 Km de Metz, au pied de la vallée de la Fensch. C’est un vieux pays pas très connu, y’a pas de touristes dans les rues, le ciel a souvent des teintes étranges, le nom de patelins se termine par « ange ». (C’est Lavilliers qui le dit)

Une partie de ma famille a déboulé dans le coin dans les années 70 parce qu’il y avait du boulot à foison dans les mines et dans les hauts fourneaux.

A l’époque, il y avait des gens qui venaient de partout (Italie, Pologne, Espagne, Maghreb, Portugal surtout) et comme me racontait mon grand-père, on trouvait énormément d’entraide et de bienveillance,  du boulot pour tout le monde, c’était plutôt gai dans le coin.

Depuis, les usines ont fermé, l’extrême droite a grimpé, et les habitants sont soit des chômeurs, soit des travailleurs frontaliers. Tout est devenu encore plus gris…

Qu’est ce que cela fait de grandir dans la grisaille ?

J’ai l’impression que quand tu grandis dans la grisaille, tu découvres l’alcool et le pétard un peu plus vite que les autres. Tu peux même tomber dans la came facilement si tu trouves pas les bons exutoires.
J’ai eu la chance de découvrir le skate à l’adolescence.

Je pense que ça m’a un peu sauvé quelque part! J’ai toujours été une brêle, mais au skatepark j’ai rencontré plein d’autres jeunes comme moi (qui sont pour la plupart encore des amis très proches!!)
Ensemble on a découvert le punk, on se faisait tourner des Cd gravés et des mp3, on allait à nos premiers concerts (pas à Thionville parce qu’il ne s’y passait rien, mais à Metz, à Nancy et au Luxembourg).
Tout cela m’a donné envie de me mettre à la guitare et d’essayer de monter des groupes !

Blague à part, la scène messine a donné naissance à des noms importants de l’underground (comme Noir Boy Georges), empreint d’une tristesse sale, d’une amertume et une d’une certaine dérision.

A moins qu’il ne s’agisse d’un délire de chroniqueur musical… Qu’est ce que tu en penses toi ?

Ici, on a pas la mer, on a pas le soleil, on a pas la montagne, c’est tout plat, y’a pas beaucoup de lieux pour les jeunes, alors beaucoup se réfugient dans la musique, montent des groupes et s’enferment dans des garages ou des caves pour répéter. C’est toujours mieux que de squatter les arrêts de bus.

Je ne pense pas que ce soit un délire de chroniqueurs musicaux. J’ai remarqué que d’autres villes avec à peu près la même histoire (des anciennes villes industrielles sclérosées et tristes comme Amiens ou Lille), avaient une scène musicale très riche et créative avec des paroles tristes et sincères!

C’est vrai qu’a Metz il y a toujours eu une scène assez cool, avec des groupes comme Strong As Ten, Noir boy George, A.H KRAKEN, Le Singe Blanc, Avale, Cimetière de l’Est, Les Sioux

On aura l’occasion d’en parler, mais tu es aussi musicien. Ta création graphique s’inscrit t’elle dans quelque chose de totalement différent de ta pratique musicale ?

Non. Au final, j’ai commencé le dessin pour faire les pochettes de CDR de mes premiers groupes et des affiches des premiers concerts des copains. Je faisais du dessin pour servir la musique surtout !

Ensuite c’est devenu un truc qui m’a apaisé et pas mal occupé. Je peux rester 6h à dessiner et j’adore ça ! Encore maintenant, la majorité de mon « boulot » en dessin, c’est des pochettes de disque et des affiches de concert, des visu de tee-shirt pour des groupes de potes. J’adore essayer de retranscrire les ambiances d’une musique sur papier, c’est un super défi.

Au final, c’est un exutoire, exactement comme la musique. J’aimerais d’ailleurs qu’ils puissent prendre la même place dans ma vie, mais je suis encore en train de chercher l’équilibre. En ce moment avec les tournées de mes groupes et le boulot, je suis plus musicien que dessinateur.

Pour nous, tes illustrations concentrent un hommage à la scène underground avec quelque chose de trash, tout en se référant à la pop culture via le comics. 

Dans quel ordre et comment tes influences se sont mêlées depuis ton enfance (avec on le présume, beaucoup de lectures de BD) ?

Enfant quand j’étais sage chez ma grand-mère, j’avais le droit d’avoir un tome de Dragon Ball ! J’allais pas souvent chez ma grand mère donc j’en ai pas eu beaucoup. Je devais avoir quelques tomes décousus, j’ai donc jamais pu suivre l’histoire mais je les regardais tout le temps parce que je trouvais ça trop beau! Ensuite un peu plus tard, à la médiathèque je suis tombé sur des bédés de Matt Konture, Robert Crumb et de Charles Burns. Une révélation! Des cases ultra noires et bien remplies, des univers sombres et trashs, ça ma complètement ouvert à toute la bédé underground.

Par la suite en creusant, j’ai découvert le collectif Bazooka, Moolinex, Matsumoto, Pakito Bolino (parce qu’il avait fait une pochette de disque d’un groupe de Thionville, Le Dernier Cri c’était pas un truc sur lequel tu tombais par hasard). Je suis rentré dans l’univers sans concession du Dernier Cri et dans le monde de la microédition, je me retrouvais beaucoup la dedans. Des gens qui avaient des univers bien perchés et qui s’auto-éditaient, qui faisaient tout eux même, avec aussi un lien très fort avec la musique.


En 2015 j’ai rejoint un collectif d’orga de concert qui s’appelait « Mâche Un truc ». J’étais le graphiste attitré, je faisais toutes les affiches et les visuels. Il y avait une période ou le collectif organisait une dizaine de concert par mois, il fallait donc que j’ai assez d’idées pour suivre !

J’avais récupéré une collection de comics des 70’s et je faisais des collages avec, et puis je dessinais des trucs par dessus. C’est resté mon mode opératoire encore aujourd’hui. Je récupère pleins de comics de gare, je coupe, je colle, je redessine et ça m’éclate pas mal !

Pourquoi avoir principalement axé ton travail graphique autour de la sérigraphie ?

J’ai découvert la sérigraphie en 2008 chez un pote de la vallée de la Fensch chez qui on était venu imprimer nos pochettes de cd. Je me suis rendu compte que ça se mariait super bien avec le dessin, que le rendu était super propre et que c’était pas très compliqué. Avec mon collectif de l’époque on s’est vite démerdé pour pouvoir monter notre propre atelier afin d’être autonome et après ça, j’ai jamais arrêté d’imprimer.

Je trouve super de pouvoir imprimer soi même ses fanzines et ses Posters avec des couleurs super vives. Le fait de pouvoir faire ça tout seul, ça change la vie.


Depuis 2015 j’ai un atelier à la campagne à 25 minutes de Metz que je partage avec mon faux frangin Raniero! On se fait régulièrement des session affiches ou bouquin, On dessine autour d’un thème ou d’un sujet et on va s’enfermer la bas pendant 3/4 jours et puis on ressort avec un objet. On ne fait pas de commande, on imprime que pour nous ou pour des potes très proches. Quand des gens nous sollicitent pour de la sérigraphie, en général on les encourage à venir le faire eux-mêmes a l’atelier. On encadre un peu, si il y a besoin, mais c’est super gratifiant quand t’as fait tes tee-shirts et affiches toi-même. On se marre bien.

Pour nous, tes illus’ s’inscrivent dans la lignée du travail du collectif d’édition marseillais Le Dernier Cri. Tu confirmes ? Que représentes pour toi ce collectif d’auteurs ?

Oui je suis d’accord avec ça. Quand j’ai découvert le monde du Dernier Cri à 18 ans, ça a été une grosse claque dans la gueule. Dans chacun de leurs bouquins, j’ai l’impression de rentrer dans le cerveau de l’artiste.Un cerveau malade.

Sacrément névrosé. C’est souvent proche de l’art brut, sans prétention et puis tu reconnais la patte DC avec toutes les couleurs criardes. Quand j’ai commencé la sérigraphie, je voulais faire des colorisations comme Pakito, je regardais les posters et je pompais les couleurs… Hihihi.

Quand on a monté notre premier atelier, on a vite fait des salons de microédition. C’est un petit milieu, tu rencontres vite tout le monde. A un salon, je me suis retrouvé en face du stand du Dernier Cri. J’avais un pack de bière et puis j’en filais à Pakito et aux autres voisins.

A 18h Pakito m’a appelé:  «  hé petit, tu voudrais bien aller me chercher une bouteille d’eau? »J’étais tout fier, j’ai couru lui chercher de l’eau et quand je suis revenu avec la bouteille, il a sorti une quille de Pastis et il m’a dit «  T’es efficace, tu viens de gagner un verre de Pastaga !! » On a bu du Pastis ensemble et à la fin du salon, il est venu à mon stand et il m’a demandé « tu serais d’accord pour qu’on s’échange des trucs ?».

J’étais comme un fou. Il a pris un exemplaire de chaque truc qu’il y avait sur ma table (et a l’époque mes fanzines étaient quand même bien nuls) et il m’a ramené plein de bouquins trop beaux du Dernier Cri!! Il m’a lancé « ça te va comme échange?? » j’avais un sourire jusqu’aux oreilles et j’avais gagné mon week-end!!

Quelques années plus tard,  j’avais fait une petit bébé, je lui ai proposé de l’éditer et il a tout de suite dit oui! Il m’a même proposé de faire la colorisation. Depuis il me propose tout le temps de participer a ses fanzines collectifs et il passe me voir quand je viens jouer a Marseille.

Tu fais partie du groupe messin Oi Boys, auteur d’un premier disque ayant connu  un certain succès dans la scène musicale underground (on l’avait d’ailleurs chroniqué ici).

Qu’est ce que tu fais dans le groupe ?

Dans ce projet je fais de la guitare, des chœurs et je chante quelques couplets.

Je fais ça en binôme avec Bat, qui fait le synthé, le chant et la boite a Rythme. En concert, on est rejoints par Bastien à la batterie et Lelex à la basse. Un bon groupe de pote. On y bosse bien.

Peux-tu nous raconter la genèse de ce projet musical ?

En 2016, J’avais un groupe de Doom Spaghetti avec Bat et un autre pote qui s’appelle Ian. Ça s’appelait Divojugend, on essayait de faire une sorte de punk ultra ralenti avec des riffs à la Ennio Morricone version Doom.  On a enregistré une K7, fait quelques concerts et on a arrêté.

Il y avait un truc assez fusionnel entre Bat et moi, on aimait bien jouer ensemble. Il m’a proposé dans la foulée qu’on remonte un petit projet ensemble, un truc sans prétention.

Je venais de trouver un synthé a 20 balles sur une brocante. Je lui ai filé et moi j’ai repris la guitare.

On jamais fait de répét, l’idée c’était de se faire plaisir en enregistrant des chansons sur son ordi.

C’était logique pour Bat d’écrire en Français, il pouvait aller plus loin. Et puis il a grandi avec le punk et la Oi. c’est direct sorti comme ça.

On a rien intellectualisé!

Comment avez-vous vécu le superbe accueil de ce premier album ? Était-ce quelque chose que vous aviez anticipé ?

Non pas du tout. C’était vraiment inattendu. A la base on ne voulait même pas faire de concert. Au final, ça a plu à pas mal de copains dont certains qui avaient des labels, donc on a décidé d’en faire une galette.

Depuis qu’on a commencé à faire des lives, les propositions ne se sont jamais arrêtées! On sait qu’on a beaucoup de chance.

Quels sont tes meilleurs souvenirs de concerts ? (…et le pire?)

Un de mes plus beaux souvenir, ça a été lors de la première tournée Oi Boys. On allait jouer à l’Avenir a Brest avec Utopie et Litovsk (deux groupes qu’on adore). On a commencé à jouer, l’Avenir était blindé de monde et la moitié du public s’est mis à chanter avec nous!! On était a 1000 km de chez nous et les gens connaissaient les paroles par cœur. Un truc pareil ça ne nous était jamais arrivé et on vraiment halluciné, surtout que c’était même pas notre 10ème concert…

Récemment j’ai eu le même petit frisson à Athènes, j’ai vu des grecs chanter nos paroles! Là on était pas à 1000km de chez nous mais 2600… et tu vois des grecs chanter en Français! Incroyable!

Quels sont vos projets à venir avec Oi Boys ?



On prépare un nouvel album en ce moment.

On a super bien avancé, mais on veut prendre le temps de peaufiner vraiment les morceaux!

On bosse aussi sur un Split avec Syndrome 81.

Chaque groupe reprend un morceau de l’autre, avec deux nouvelles compos par groupe.  J’ai super hâte de voir ce que tout cela va donner!

Pour finir, peux-tu nous donner ton dernier coup de cœur en tant qu’auditeur ? 

En ce moment je tripe à fond sur un vinyle qui s’appelle Bobby Ramone «Rocket to Kingston ». C’est des mash-up de la voix de Bob Marley sur des instrus des Ramones. Il y a un coté Bad Brains et ça marche super bien! En morceau je mettrais « I don’t Wanna Stand up ».