Roberta dans la « vraie vie », l’illustratrice de Bologne se transforme en JOE1 pour se dévoiler en toute intimité à travers ses dessins. Des compositions très personnelles disant beaucoup sur sa façon de voir les choses au fil d’expériences vécues au jour le jour, imprégnées graphiquement de culture manga lorgnant vers Tank Girl, sous une bande-son oscillant entre punk hardcore italien, chants oi ! fédérateurs et balades post-punk.
Vous l’aurez compris, entrer dans l’univers de JOE1, c’est aussi (et surtout) faire connaissance avec Roberta. Un grand merci à elle pour la magnifique couverture originale de ce numéro !
| Par : Polka B.
Peux-tu te présenter brièvement ? Commet te définirais-tu en tant qu’artiste?
Salut! Je suis Roberta, je dessine, j’aime, je hais, je fête et me fais mal.
Je ne me suis jamais considérée comme une artiste, et je ne considère pas mes dessins comme des œuvres d’ailleurs.
La seule chose « arty » me concernant c’est d’être un bordel ambulant, vivant avec peu de ressources (soupir).
Ces petits chanceux là, ne sont que des dessins, laissons-les être de pauvres petites taches d’encres inconscientes. Préservées des définitions et des ambitions.
Pourquoi ce pseudo « JOE1 »?
Au lycée, mes amis et moi avions décidé que tous les gars se prénommerait Johnny et les meufs Joséphine. Au bout d’un moment on est tous devenus des Joe. (rires) En Italien ça donne plus un truc du style: « GIÒ GIÒ GIÒ ».
Bien stupide comme histoire ! Je sais mais c’est comme ça. J’ai ensuite ajouté le 1, à cause « Joe1 » une chanson de Fugazi.
C’est cool hein, on a du génie par ici.
Tes influences semblent variées. Des influences des comics, mais aussi de la culture punk. Quelles sont tes inspirations ? Qu’est ce que tu écoutes/regardes/lis ?
Je ne suis pas si « comics » que j’en ai l’air. Je n’en lis pas. Je suis 100 % sûre que c’est quelque chose de bien, mais ça m’ennuie à mourir.
Je préfère les mangas, avec des idées de fou, de la technique… les Japonais font tout différemment et mieux, mais des fois l’industrie à raison d’eux alors merde.
J’aime les vieux trucs comme Tank Girl, Andrea Pazienza et tout ce qui vient des eaux troubles de l’underground.
J’aime ce que font mes amis! C’est parce que j’aime la scène, et mes amis évidemment.
Le punk est pour moi la seule réalité culturelle /artistique /politique qui m’importe. Je ne suis pas punk, je manque de courage pour l’être, mais cette attitude est la seule qui me secoue. La vérité.
J’écoute principalement du punk hardcore Italien, Oi! Et skinhead: Skruigners, Bellicosi, Sempre Peggio, Sud Disorder, Call the Cops, Intothebaobab, Raw Power, Negazione, Contrasto etc.
Je les aime de tout mon corps. Je vais aux concerts. Quand ce n’est pas du punk hardcore, c’est du post-punk anglais, du post-hardcore Américain ou de la pop Italienne.
Je lis beaucoup de littérature, je suis très bouquins. Donc désolé je vais devoir me tenir sur les noms. J’aime Philip Roth et Henry Miller tout comme Sylvia Plath (elle me détesterait pour ça).
Comment as-tu découvert la culture DIY ?
Je crois que j’ai toujours été naturellement attirée par la révolte. En cours d’histoire, dans les livres, les films, les chansons, je me suis toujours sentie affiliée aux combattants poings levés, criant, riant, existants pour la liberté, ou du moins la cherchant, cherchant une nouvelle vie radicale. Depuis la première fois que j’ai entendu le mot « PUNK », ça m’a intrigué. J’avais onze ou douze ans quand j’ai commencé a me renseigner dessus. A l’école on étudiait les mouvements de 68, et j’ai vu ces photos de presse, ces BD, le style m’intriguait : les faces, les piercings, tatouages etc.
Au début des années 2000s je suis encore dans le grand sud Italien, pas encore d’internet, tout allait lentement, donc les premières choses que j’ai découvertes étaient le pop-punk américain. Blink 182, Avril Lavigne, Green Day, etc. Avec le manga Nana, j’ai découvert les Sex Pistols et Vivienne Westwood, j’aimais beaucoup. Les Ramones ont définitivement fait la bascule. A 13 ans, j’ai reçu mon premier album de Pornoviste et depuis je sais de quel côté mon cœur bat.
Où as-tu grandi ? Comment cette ville t’a-t-elle influencé ?
Comme je disais, j’ai grandi dans le sud de l’Italie et suis partie à Bologne en 2012 à l’âge de 19 ans. Ma ville natale est très belle, la nature a fait bel ouvrage par ici. J’ai grandi à l’océan, ces étendues d’eau peuvent t’influencer. Déjà les choses me paraissent très claustro depuis. Les gens, les lieux, le temps, la bouffe, tout.
J’ai besoin d’air. Mais hormis l’environnement paradisiaque, c’est un des pires endroits où vivre. J’étais considérée comme une folle car je lisais des bouquins, faisais encore des dessins à 16 ans et portait du noir.
Il n’y avait pas du tout de culture, ne serait-ce mainstream. Que dalle. Inaccessible pour les jeunes. Maintenant ça c’est arrangé, c’est un bon endroit pour la musique! Mais pas pour la politique, en tout cas pas la mienne…
Tu peux être chanceux et avoir une bonne famille (biologique ou adoptive) faite d’amour, comme la mienne, ou alors être seul, entouré de fascistes, et finir par en devenir un. Cela a influencé mon travail avec de l’urgence, de la peur, des besoins d’ailleurs, de la rage…
Quand et comment as-tu commencé ? Qu’est ce qui a défini ton style?
Je ne sais plus comment ça a commencé. Gamine je dessinais déjà, c’était un jeu, et une façon de découvrir ce qui m’entourait. Petite je dessinais pour compenser mes problèmes de solitude et à la maison; ado, je dessinais pour m’éloigner du monde et être différente; adulte je dessine car j’ai besoin de thunes et pour résister, mais surtout parce que je n’ai aucune idée de ce que je pourrais faire hormis ça. C’est quelque chose de naturel et de psychologique, comme pisser un coup. Le style, lui se définit avec la patience et la curiosité.
C’est assez rare d’avoir ce profil dans nos interviews : tu arrives à vivre de tes illustrations. C’est ton job ? Tu as un rythme à tenir pour être publiée régulièrement ?
Ah ah ah! J’adore.
J’ai essayé, mais ça n’a pas marché. Pas ici, pas maintenant, pas si tu n’es pas une rockstar d’Instagram. Je cherche actuellement un job pour payer les factures, le loyer, la tise et la drogue. J’ai eu un bouquin publié sur une des plus grosses maisons d’édition Italienne, mais ça ne suffit pas pour vivre.
Les maisons d’édition se font de la thune sur tes bouquins, pas leur auteurs. J’ai tenté, il y a de bons points là dedans, j’aurais tout accepté plus jeune, mais ce n’est plus acceptable à mon âge.
Je voudrais prendre du recul, faire autre chose, genre serveuse et dessiner ce que j’aime, et ne pas sombrer dans la fatigue et la pauvreté. Je hais le travail, mais je dois m’y coller, je voudrais au moins finir tôt.
Le travail créatif ne s’arrête jamais, tu y penses tout le temps, même sur ton petit nuage. Je déteste ça. Dès que je finis un bouquin ou un gros projet, je tombe malade. J’aime trop la vie et le fun pour devenir dessinatrice.
Peux-tu nous parler de ta rencontre avec l’autrice FumettiBrutti (Josephine Yole Signorelli) ? Comment en-es-tu arrivé au projet CENERENTOLⒶ (2021) ? Peux-tu en parler ?
Joséphine est mon âme sœur, le sucre dans mon whisky, le paprika dans mes chips. On s’est rencontrées à l’académie des beaux arts en 2016, on était dans la même classe (j’ai arrêté mais elle a été diplômée).
Au début je voulais fuir cette sorcière sicilienne qui me suivait et me parlait comme si on se connaissait depuis toujours. Maintenant je ne peux plus respirer sans savoir où elle se trouve, on est connectées.
On a beaucoup fait ensemble, en DIY, en édition; quand la pandémie a éclaté et que le monde s’est éteint, je m’ennuyais et voulais faire une grosse BD. Elle a eu cette idée de Cendrillon anarchiste il y a des années mais n’a jamais eu le temps de s’y mettre. (Elle est connue, une rockstar d’Instagram, elle dessine sans soucis pleins de choses nécessaires que le monde doit voir. Elle est très occupé à changer le monde tu sais).
On a donc eu l’idée de réécrire Cendrillon sous un angle anarcha-féministe. Une idée très simple avec un style cartoon. Ce fut fun !
Cendrillon est défoncée au bal, le prince tombe amoureux, elle refuse de se marier avec un étranger mais en vue des circonstances elle est obligée, alors elle s’enfuit et part vivre en squat dans la vieille vallée… puis arrivent des enchaînements d’évènements, générés par satan lui-même, emmenant la destruction du château avec une souris punk renversant la monarchie.
As-tu d’autres projets avec Feltrinelli Comics?
Oui, mon nouveau bouquin : Nora’s Big Eyes à paraître le 14 juillet 2022. Je l’ai écrit et dessine. J’aime mon personnage de Nora, elle est folle et voit des monstres partout. Mais elle aime ça à sa manière. La réalité est un état très limité.
Tu es proche de tes lecteurs. Tu communiques beaucoup avec eux sur les réseaux. Est-ce si important de tenir ce contact avec les gens qui te soutiennent ?
Oui et non, j’ai essayé d’explorer le royaume d’Instagram il y a deux ans. Le confinement m’a eu, j’étais seule et en dépression. Aussi, le squat dans lequel je vivais venait d’être expulsé et je me sentais perdue.
Au début, parler avec du monde sur Instagram était fun. J’ai essayé de créer un espace de débat pour parler politique, féminisme, société. C’était assez intense beaucoup de bonnes choses en sortaient. Mais il fallait avancer au milieu de la merde, Instagram ne sera jamais un lieu public safe. Ça m’a ennuyé, j’ai continué à l’utiliser tranquillement, voir si ça allait m’inspirer pour le dessin et vendre des prints. Ça marche, mais il faut être accrochée a ta mission, ce n’était pas mon cas. Je continue a mettre beaucoup de stories, car je suis stupide, j’aime ma vie et ce que je vois, ainsi que partager des images. Mes chats sont photogéniques et moi aussi.
On sait que tu es une fanatique de musique. Tu écoutes quoi actuellement ?
Actuellement, je suis dans le train pour Bologne et j’écoute les Smashing Pumpkins. Pas très punk, mais c’est a cause d’un charmant monsieur qui me trotte dans la tête.
Si tu devais prendre juste un album sur une île déserte ? Et pourquoi ?
Cette question me hante depuis que je l’ai lue. Je sais pas, j’ai peur!
Ça me prendrait des mois à répondre, de la bonne musique, des bonnes paroles, un bon impact blablabla.
Soyons honnêtes, je ne suis pas sage. Je prendrais quelque chose que j’écoute depuis longtemps au moins quinze ans avec toujours autant de joie : « Torino Rock’n’roll Starz » de Bellicosi.