PENADAS POR LA LEY

Pionnières du punk en Argentine au début des 90’s, les filles de Penadas Por La Ley ont pris leurs valises pour définitivement emménager au Pays Basque en 2001.

Depuis, les sorties d’albums et tournées se sont enchaînées sans relâche jusqu’en 2022 où l’énergie créatrice du groupe est plus que jamais d’actualité. 

Si le dernier album en date Sale temps pour la liberté (« Malos tiempos para la libertad ») portait rage et colère, le nouveau disque Iraultza Gara ne fait qu’enfoncer le clou avec sincérité et engagement sous une qualité musicale toujours propre aux « Penadas » ! Face à cette longévité impressionnante, nous ne pouvions qu’interviewer le duo original du groupe en tournée (Nayla et Faby), comptant aujourd’hui 4 membres.

Calées en terrasse, on commande des verres et on discute. Asseyez-vous avec nous 😉 

| Propos recueillis par Baba

Votre groupe a été créé en 1993. Comme décririez vous la scène punk et féministe en Argentine à cette époque ?

Nayla : Cette question on doit la poser à Faby qui a commencé avec le groupe en 1993. Moi je les ai rejointes en 1995.

Fabiana : De mon point de vue il n’y avait rien. Tout était très macho, et ça l’est toujours ! A ce moment là, on voulait juste faire un truc entre nous. On était 3 femmes au départ et on ne voyait pas de meuf qui incarnait une sorte de « référence » ou de modèle féministe. Comme il n’y avait rien, on a commencé à faire du bruit. Et c’est ainsi, qu’on en est là aujourd’hui… sans grandes prétentions !

Nayla : Il faut savoir qu’en Argentine on était sous le joug d’une dictature jusqu’en 1983. C’est seulement à partir des années 90 que la scène punk a commencé à se développer. C’était grave cool niveau punk-hardcore mais il n’y avait que de mecs. Et c’était toujours très macho oui.

Vous êtes donc le premier groupe punk de meufs en Argentine ?

Nayla : On peut dire ça. En tout cas à notre connaissance ! Peut-être qu’il y avait des meufs qui faisaient aussi du punk en cachette. En tout cas, on a été les premières à sortir un album ! J’ai commencé dans un groupe de mecs mais j’ai toujours voulu jouer avec des meufs. À cette époque-là, je suivais Penadas por la ley partout et Fabiana m’a proposé de rejoindre le groupe deux ans plus tard. (On raconte cette histoire dans la chanson 1995 inclue dans nôtre dernier EP, Iraultza Gara).

Quelles sont les influences musicales ou les artistes qui vous ont motivé à créer le groupe ?

Nayla : On écoutait surtout du punk basque, et c’est pour ça qu’on habite actuellement à Bilbao.

Nos principales références étaient La Polla Records, Kortatu, Parabellum ou Eskorbuto .
Notre rêve était de jouer au Pays Basque. Ça fait 21 ans qu’on y est et on est très contentes.

« Penadas por la ley » est un nom de groupe très singulier, et fort. Pourquoi l’avoir choisi ?

Fabiana : L’Argentine est une république mais le vote est obligatoire. Si tu ne votes pas, tu es “penado por la ley” (puni par la loi). La condamnation change chaque année. Cela peut-être une amende, mais tu peux aussi ne plus pouvoir sortir du pays. Ma sœur (ancienne batteuse du groupe), n’avait jamais voté de sa vie. Elle a donc été ‘penada por ley’. On a kiffé le nom et voilà.

Est-ce que vous considérez Penadas por la ley comme votre forme d’activisme, votre moyen d’engagement politique ?

Fabiana : Oui, c’est un moyen qu’on a pour dénoncer certaines injustices. C’est notre grain de sable.

Nayla : La politique est partout. Je ne comprends pas ceux qui clament ‘Je m’en fous’. Les injustices politiques et sociales qu’on rencontre ou qu’on vit parfois nous-mêmes (et surtout les femmes) nous concernent directement à tous.tes. C’est pour ça qu’il faut prendre position et donner ton point de vue. Nous on le fait à travers la musique. Elle nous permet de cracher toute la merde qu’on doit avaler.

Fabiana : C’est aussi une sorte de thérapie.

Est-ce que vous avez trouvé au Pays Basque une dynamique artistique et militante particulière comme le veut la réputation ? Est-ce d’ailleurs pour cela que vous vous êtes installées à Bilbao à votre arrivée en Europe ?

Fabiana : Oui, on s’identifie beaucoup aux paroles d’autres groupes basques et à leur lutte. D’ailleurs, comme on a déjà dit, la plupart des groupes qu’ils nous ont inspirés sont basques et c’est pour cela qu’on a déménagé.

Nayla : Je crois que dans les années 1980, il se produisait au Pays basque quelque chose de similaire à ce que nous avons vécu en Argentine après la dictature. C’est vrai qu’il n’y avait pas de revendication féministe et cela nous a manqué. Heureusement la situation a changé, même si il y a encore beaucoup à faire.

Comment avez-vous appréhendé votre pratique, par rapport à ce que vous connaissiez en Amérique Latine? Peut-on dire que le groupe a « changé » suite à ce déménagement ?

Nayla : Le changement le plus fort que l’on ait ressenti, c’est le passage direct des années 80 aux années 2000. Il y avait un système d’État providence totalement différent ce que nous connaissions.

Tout le monde avait accès à des amplis et à des instruments incroyables. Cela aurait été impossible à avoir en Argentine, même en travaillant toute sa vie. Quand on a débarqué, nous étions vraiment choquées.

Nayla: Pendant une certaine période, nous n’avons pas joué parce que les fils de Faby étaient très petits, et nous devions nous adapter à cette nouvelle vie.

Mais on s’est vite rendu compte qu’ici, on avait l’opportunité d’avoir des revenus et d’améliorer la qualité de nos sons.

Fabiana: On pouvait désormais payer les baguettes, louer une salle pour répéter, manger…et nous aventurer à faire des tournées ailleurs. Le fait de pouvoir enregistrer un album avec l’argent que l’on gagnait de façon indépendante nous a donné plus de liberté créative. Ce processus d’adaptation a pris un peu de temps, et en 2010 nous sommes vraiment revenues à la charge.

Quelles sont les expériences de tournée en Europe qui vous ont le plus marqué ? Pourquoi ?

Nayla: On a halluciné avec la façon de faire les choses en France, surtout en Bretagne.

Quand nous sommes allées au festival Vive le Punk, on a pensé qu’on s’était trompé d’endroit ! Là-bas il n’y avait rien ! C’était un coin paumé au milieu d’une montagne et en plus il faisait moche.

Fabiana : On est arrivées dans une énorme grange où la porte était tenue par quatre bâtons de bois, genre pour les animaux. Quelqu’un nous a appelé et nous disait: ‘par là, par là’. On est entré et il n’y avait pas de musique, on marchait et il n’y avait rien.

Quand on est arrivées à la porte, ils l’ont ouvert, et le son des concerts nous a décoiffé. Il y avait une ambiance de fou, en plus c’était un festival écolo qui ne dérangeait pas les animaux autour.

Nayla: Ce n’est pas parce que tu es punk que tu dois bâcler les choses. Ça fait déjà longtemps qu’on s’est rendu compte qu’on pouvait faire autrement, en intégrant et surtout en respectant tout le monde.

Vivre le punk dans cet état d’esprit, c’est ce que j’aime le plus.

Des projets à venir ?

Fabiana : Hahah oui, demain on va en Bretagne. Et comme projet futur… présenter l’album !

Nayla : Pendant la pandémie on a enregistré un album Iraultza Gara, qui est sorti grâce au soutien des gens via un crowdfunding. À la base, il était seulement disponible pour les gens qui nous le demandaient. Mais après, nous avons parlé avec 6 ou 7 petits labels (plus le nôtre Guerrera Records), et nous avons fini par le sortir. On est très fièr.e.s du résultat, c’est pour cela qu’on a tant hâte de le présenter au public et de continuer à profiter de jouer tant que nos forces nous le permettent.