Syndrome 81 – Prisons Imaginaires

Syndrome 81

Prisons Imaginaires (2022)

Le tangage hypnotique et lancinant de l’eau sur la coque luisante de notre zodiac commence à  faire tourner les têtes. Voilà presque 24 heures que nous avons tenté de quitter terre, fuir. Voilà bien trop longtemps que ces mêmes rues nous digéraient et que nous en faisions de même sans en avoir plus aucune saveur à en tirer. Nous avons pris le large dans des espoirs peut-être flous mais nécessaires. Nous avons bravé la tempête, donné raison à la pluie battante, adopté chaque courbe des vagues , ignoré le brouillard pour mieux avancer.

C’est de manière soudaine qu’une lumière vive vient traverser la brume, un phare nous appelle. Nous avons réussi. Un nouveau port nous appelle, de nouvelles rues. Nous nous sommes évadés !

Mais cette lumière, ce vacillement dans la nuit, cette imposante structure de béton à l’entrée de la baie, nous la connaissons forcément, ce n’est pas un sentiment de déjà-vu… Nous avons tourné en rond, nous venons d’entrer de nouveau aux portes de nos geôles.

| Par Nino Futur

« Toujours tu termineras ta course dans cette ville. N’espère point autre chose. Il n’y a aucun bateau pour toi, il n’y a aucune route. Maintenant que tu as dévasté ta vie ici, dans ce petit coin perdu, tu l’as détruite partout dans le monde. » 

Constantin Cavafy, « La ville ».



Ainsi pourrait se résumer de manière romancée la trame de fond de ce Prisons Imaginaires, premier album du combo punk Brestois Syndrome 81.

Reconnus comme une valeur sure de la scène française après une série de demos et splits notamment avec leurs camarades de spleen de chez Litovsk ou les punx avaleurs de béton suédois de Urban Savage.

Syndrome 81 s’est fait un nom et avant tout un son, désormais envié voire copié par toute une frange de la scène Européenne, celui du savant mélange entre la rugosité du street punk et de la oi « tradition française » aux guitares profondes et chorusées de la cold wave.

Un son qui désormais est entré dans les mœurs de notre scène (S/O : Traitre, Zone Infinie, Secteur Pavé) et qui s’ancre dans les nouvelles sonorités de la palette de grisaille du béton. Le béton, voici un mot qui marque le champ lexical de Syndrome 81. Urbaine, grise, dure et lourde, tant d’adjectifs définissant aussi bien la musique de syndrome que ce matériel minéral du cœur de nos villes.


C’est au travers de ses 13 titres que Prisons Imaginaires nous transporte dans un torrent d’émotions sur les flots de la grisaille, où les arcs en ciel sont ternes et où les navires ne lèvent jamais l’ancre. De ses très frontaux et nihilistes « Vivre et mourir » ou « Futur Périmé » aux accents punk rugueux et mélancoliques, à des confins plus mélodiques et sentimentaux : « Les rues de Brest » sous ses airs de tube pop punk, « Fuir son passé »  complètement dans la brèche post-punk…

Syndrome 81 manie son propre style à merveille aussi bien musicalement que lyricalement où l’esprit zonard s’aligne aux griefs du poète tourmenté. Comme si The Cure faisaient alliance avec Camera Silens et Trotskidz.

Les titres s’enchaînent, les mélodies de guitares goth s’ancrent dans notre cervelet écoute après écoute.

La voix toujours aussi rêche et punx donne un contraste intéressant à l’ensemble nous rappelant tout un pan de la scène punk française oubliée. Entre furie purement oi  (« Violence Sociale » ; « Sur la brèche »), punk rock brumeux (« avenir ») voire ambiance purement goth 80’s avec le final « lumière magnétique » tout en boites à rythme et basses groovies.

Avec son magnifique artwork signé All Cats Are Grey hors des carcans punks habituels du style, « Prisons Imaginaires » vient marquer l’année 2022 au fer rouge sur nos petits cœurs de faux écorchés.

Et nous propose une bande son originale pour nos errances solitaires dans nos zones de confort.

Un profond sentiment de partir/rester, entre fierté et tristesse profonde, déboires passionnels, désillusions urbaines, et bilans météo peu réjouissants.
Un album hommage à la grisaille sédative et au contentement apaisant de l’étau qui vient se resserrer. Une belle piqûre de rappel avant de repartir gâcher sa vie.