Justice for Zak

Midi. Vendredi 21 septembre 2018, quartier d’Omonia, Athènes. Tout se passe bien sur le marché de la capitale. Les clients affluents et les commerçants continuent de gagner de l’argent, jusqu’à ce que, dans une rue proche, on entende du bruit. | Par Alkistis. A

Un homme est piégé dans une bijouterie vide. Dans sa tentative de s’échapper par la vitrine brisée, le propriétaire et les commerçants voisins supposent d’emblée qu’il s’agit d’un voleur. Ils lui donnent des coups de pied dans la tête avant que le spécialiste officiel de la violence, la police grecque, ne vienne s’en mêler.

Quelques minutes plus tard, le jeune homme, Zak, pousse son dernier souffle, menotté à l’intérieur de l’ambulance.

Pendant l’attaque, les passants apathiques n’ont rien fait pour empêcher l’assassinat. La violence de l’incident laisse apparaître une chose: la protection absolue du droit de la propriété individuelle… quel qu’en soit le prix. Une attaque barbare et haineuse à l’égard d’une personne incapable de menacer quelqu’ un ou de se défendre.

Et le défouloir ne fait que commencer. Les titres des journaux sont sans équivoque: “Un voleur a été tué en train de cambrioler un magasin”, “voleur« , « pédé« ,”voyou” « trans« , « séropositif« …  Voici quelques-uns des adjectifs invoqués par les médias, directement relayés sur les réseaux sociaux où les commentaires vomissent d homophobie, de toxico-phobie et de transphobie.

Pour justifier l’assassinat, les meurtriers et les spectateurs silencieux se sont empressés de le condamner en l’accusant de tous les maux.
Dans ce théâtre absurde, les médias placent Zak dans le rôle du « violent voleur », qui armé d’un couteau, aurait menacé la propriété d’un »pauvre bijoutier » en situation de légitime défense.

Chaque adjectif utilisé pour décrire Zak « Zackie Oh », détermine la réaction, le niveau de choc et les émotions qui émaneront au sein de la société grecque.

Le choix du qualificatif et de l’identité de Zack détournent l’objet du fait principal : une personne a été assassinée à midi, en plein centre d’Athènes. Chaque réaction a été basée sur une identité et sur le fait que cela pouvait justifier un assassinat ou définir a quel niveau cela pouvait potentiellement nous toucher.

Finalement, les résultats des tests toxicologiques et l’ensemble des témoignages présentés ont montré que Zak n’était pas sous l’influence de drogues lorsqu’il est entré dans la bijouterie, et qu’il n’ avait aucune intention de voler. Selon certains enregistrements video, Zak aurait cherche a échapper a un agresseur, et ce serait réfugié dans la bijouterie.

Doit-on alors supposer que Zak a été assassiné à tort? Injustement?
Doit-on supposer que s’il était un voleur et un toxicomane, il aurait été tué justement? Est-il vraiment important de savoir si c’était un voleur? Un toxicomane? Un homosexuel? Trans? Séropositif? Pour une société qui légitime la violence au nom de la propriété individuelle ça l’ est. Pour une société qui croit que les personnes qui n’ont pas de place dans ses normes doivent en être exclus, ça l’est. Voilà l’aboutissement le plus extrême d’une mentalité  bourgeoise ayant mis en place un système de valeurs centré sur la peur des marginaux (une marginalité dont elle est en grande partie responsable). Une peur profondément ancrée dans la société grecque, qui considère comme une menace tout ce qui est étranger ou « différent ».

Ainsi, un meurtre obtient différentes interprétations, basées sur l’identité de la victime et sur la croyance que la propriété individuelle a plus de valeur qu’une vie humaine. Dans ce cas précis, la vie d’une personne obtient encore moins de valeur si c’est celle d’ un homosexuel ou d’ un toxicomane.

Zackie-oh / Zak, membre actif de la communauté LGBTQI et activiste était une personne qui avait rassemblé de nombreuses identités sur son visage, condamnant ceux qui les mettaient à l’écart. Il était ouvertement séropositif, fièrement drag queen, homosexuel et antifasciste. Il avait le courage de se battre pour défendre ses droits et ceux des autres.

La réponse de la communauté et du mouvement LGBTQI a été immédiate. Manifestations, mobilisations et de nombreux textes, publiés pour analyser l’ événement sous différents angles.

Quelle identité nous a empêché de réagir au moment de l’attaque? Et quelle identité nous a permis d’ être touchés, émus, tristes ou en colère? Après tout, pour quelle identité a t’il été assassiné? Voilà les faits : un homme a été assassiné par les patrons, l’État, les flics, les médias et les spectateurs silencieux.

Extrait d’une interview de  Zak Kostopoulos – « Zackie Oh », en 2017 :

« Ce qui est vraiment triste pour moi, c’est l’indifférence des gens. L’absence de réaction. Cela s’est passé ainsi lors des deux dernières attaques que j’ai subies contre mon intégrité physique. Des fois je me dis que certains fascistes n’arrêterons jamais de l’être. Mais si vous me demandiez ce que je voudrais changer dans la société, voilà ce que je répondrais : si vous voyez quelqu’un se faire attaquer, alors ne détournez pas le regard. Je ne vous dis pas de commencer à vous battre, car moi non plus je ne suis pas à l’aise avec ça, mais faites au moins entendre votre voix. Faites quelque chose, réagissez d’une certaine manière. « 

« Quelles sont les causes de l’apathie du monde ? » demande Maria Kamini.
Cela peut certainement être la peur. Mais demain, cela pourrait aussi vous concerner, si cela arrive à votre ami, ou à votre enfant… et j’imagine que vous aimeriez que quelqu’un lui vienne en aide
 »

Personne ne l’a aidé. Personne n’a fait entendre sa voix. Ni en 2017,  ni le vendredi 21 septembre 2018. Mais après, on a tous crié.