LAFERT DRAG QUEEN

Le Drag Show comme genre d’art et son positionnement dans le milieu DIY.


On a eu la chance de discuter avec la drag queen Lafert ! Originaire de Grèce, elle vit et travaille à Berlin. Elle a commencé le drag il y a un peu plus d’ un an, après plusieurs années dans le milieu DIY en tant qu’ activiste et féministe radicale. | Par Alkistis A. / Trad : Alkistis A. / Illus : Mademoiselle Pin

Peux-tu nous expliquer qu’ est ce que c’ est un drag show ?


Le drag est une forme d’art dont les premières origines sont trouvées chez Shakespeare et même un peu chez Aristophane. Le terme drag queen/drag king n’avait pas le sens d’aujourd’hui mais on trouve des premiers éléments à l’époque du Moyen-Âge.

A cette époque là, c’était interdit pour les femmes de jouer au théâtre et si elles obéissaient pas, on les brûlait. Shakespeare a utilisé des hommes pour les rôles féminins et il les transformait d’ une manière extravagante. C’est ce qu’on appelle le drag aujourd’hui: seins et corps énormes, cheveux, cils et lèvres très grandes pour créer une sorte de caricature du sexe opposé.

Pas pour le diminuer mais pour créer une œuvre complète. C’est là toute première origine du drag
Et puis dans les années 50, il a été adopté par des communautés en Amérique où beaucoup de personnes trans utilisaient le drag show dans les bars et les boites de nuit pour travailler, parce qu’ elles voulaient pas entrer dans le travail du sexe.

Il y a des drag queens et des drag kings*. Le terme drag c’est la transformation d’une personne à la forme extravagante du sexe opposé afin de produire de l’art.  Une drag queen n’ est ni actrice, ni chanteuse, ni danseuse mais un peu tout à la fois. Un spectacle peut avoir des chansons, du « lip-synching », des imitations, de la danse, des poèmes, des monologues et tout ça combinés aussi.

*Les drag kings sont des femmes qui s’ habillent en hommes pour leur performance et surtout maintenant que le sujet de la lutte contre le patriarcat est beaucoup plus développé, il est beaucoup plus pratiqué… 

Quelles différences trouves-tu entre le drag « commercial » et le DIY drag ? As-tu perçu des différences de pratique entre la Grèce et l’Allemagne ?

En Grèce, si quelqu’un pratique le drag comme métier pour gagner sa vie,  les documents de l’ État le considèrent officiellement comme un « clown ». C’est extrêmement abusif. Donc, il y a beaucoup de groupes qui se battent à travers un syndicat pour faire passer le drag show dans le cadre juridique en tant que profession, en écrivant « show de transformation » ou « drag show ». 

En Allemagne et en Amérique, c’est un genre artistique séparé et libre. On parle du drag professionnel pour gagner sa vie, sans nécessairement un discours politique derrière. Il y a des artistes qui ont des sponsors. Le drag on le trouve aussi dans le théâtre, on voit pleins d’acteurs qui le font pour les besoins d’un rôle. Mais il y a aussi nous, les drag queens du mouvement. Le DIY drag qui véhicule l’ action politique, sans profit. L’art du drag est comme n’importe quel art. Comme un guitariste peut choisir son répertoire, les lieux où il jouera, son public… 

Les personnes qui font du drag commercial sont plus concentrées sur la partie artistique. Ils/elles n’ ont pas l’opportunité de faire un discours politique à cause du contexte, des sponsors, ou des gens qui les dirigent. Au contraire, le drag autonome est libre. il n’y a personne qui puisse m’arrêter. Mon motif est purement politique, c’est une performance en tant que position politique. Mais généralement, le drag est un acte radical. Commercial ou politique, cela reste une gifle sur les normes de la société, un acte condamné par les pouvoirs et les États. 

Mais ce n’est pas toujours évident. N’oublions pas qu’en Grèce, les lieux autogérés et le mouvement en général n’ont pas cette culture du drag show. C’est un sujet encore récent. Ici, à Berlin, le mouvement anarchiste et radical traite le sujet de l’émancipation des femmes et des personnes queers depuis les années ’50. C’ est une des différences entre les deux pays.

A Berlin, on trouve un pride anarchiste ou tous les collectifs sortent dans la rue à coté des personnes queers, drag queens et personnes trans… Évidemment, il y a aussi des hommes cis straight mais ils portent des perruques, ils se peignent les ongles pour nous soutenir. Ce sont des images qu’on ne voit pas très souvent en Grèce. Je suis très optimiste mais on se trouve encore à un stade primaire.

Des fois, le public confond l’art du drag avec la transexualité. Que peux-tu nous dire ?

Le drag comme genre artistique ne concerne pas les sexualités. C’est une forme d’ art qui n’a pas dans sa définition la sexualité. Il existe beaucoup de personnes straight qui le font. C’ est plutôt un état artistique. Bien sûr, il est possible que des personnes trans fassent du drag. Ou des personnes gays, qui à travers cette transformation peuvent se voir dans l’ apparence du sexe opposé. C’est un choix personnel de chacun et de chacune. Mais on peut dire que tout le monde peut faire du drag. 

Et toi ? Comment as-tu décidé de devenir une drag queen ? 

J’ai commencé au printemps 2020. Je n’avais aucun rapport personnel avec le drag jusque à ce que j’apprenne le meurtre de Zak Kostopoulos/Zackie Oh. Et je crois que la plupart des grecs ont appris ce qu’était le drag à ce moment là. Google était en feu avec les recherches « c’ est quoi une drag queen« . Quand cette personne a été assassinée par les flics et les passants en silence. Le meurtre a été le prétexte pour que je regarde sa vie, son profil, ses actions. A travers cette recherche, j’ai eu l’idée de m’approprier un peu le drag show.

On a décidé avec des amis anarchistes de participer pacifiquement au pride et de lui mettre une note politique. Un pote m’ a dit « pourquoi tu ne t’ habillerais pas comme un drag queen? pour avoir une présence queer et forte ?« . Je suis entrée dans ce délire et puis la pandémie est arrivée. Toutes les prides ont été annulées. J’étais là, avec tous mes accessoires. Pendant le premier confinement, j’ai commencé à faire des cours de maquillage alors que je n’en avais aucune idée avant.

J’ai écrit ma première performance dédiée à tous les queers assassinés dans le monde, soit par les régimes, soit pas les mentalités et le patriarcat. Le spectacle se compose d’ une narration, d’un monologue, d’un chant funèbre, d’éléments audiovisuels et de chansons et il finit avec un morceau hip-hop que mon amie Sara m’ a offert : « Je suis les voix qui hurlaient et que tu n’entendais pas ». On le chante ensemble à la fin. La langue de mes performances alterne entre le grec, l’anglais et l’allemand et est accompagnée de sous-titres en anglais pour que tout le monde puisse comprendre, y compris les personnes ayant des problèmes auditifs.

Pourquoi « Lafert » ? Comment as-tu choisi ce nom ? 

C’est un hommage à une chanteuse chilienne, activiste et féministe: Mon Laferte. C’ est une chanteuse cis femme de musique folk mais elle a beaucoup d’éléments drag dans son apparence. Elle a été connue quand elle a reçu un Grammy. Pendant sa déclaration sur le tapis rouge, elle a arraché sa chemise. Sur sa poitrine, il était écrit : « Au Chili, les femmes sont torturées, violées et assassinées ».

Comment as-tu construit ce personnage ? Quelles sont ses caractéristiques ?

Dans Lafert, j’ ai 30% de moi même. Le reste, c’est 70%  de création.

Lafert est une femme qui se croit née de gouttes de pluie qui tombent sur les tombes des personnes queers assassinés autour du monde. À partir de là, elle s’est transformée en drag queen. Elle ne pouvait plus entendre les sanglots des morts et elle est venue dans ce monde pour nous dire la vérité. C’est un personnage qui parait autoritaire. Elle a un style goth agressif, mais au fond d’ elle, elle est triste et en colère.

On dirait aussi que c’est une figure maternelle, comme si c’était ses enfants qui avaient été assassinés ou suicidés (et dans ce cas le suicide peut aussi être considéré comme un assassinat). Je l’ai construit de cette manière. Tu ne la verras presque jamais danser extatiquement parce que ce n’ est pas dans son attitude. 

En quoi consiste la préparation d’une drag queen ? Comment le faire soi-même ?

La mienne dure 3 heures. Il faut se raser, faire le maquillage (qui est une forme d’art différente du moment qu’il s’agit de transformer tout le visage). Il y a aussi des sous-vêtements de formation du corps qui changent une silhouette biologiquement masculine d’ une manière plus naturelle. Quand je choisis les vêtements je réfléchis comme Lafert. Des fois le DIY est compliqué à cause des dépenses mais il y a des sites ou on peut acheter et vendre à bon marché, échanger ou emprunter à d’autres drags. Nous sommes solidaires entre nous, la dynamique d’échange en fait partie.

Peux-tu nous parler du collectif « Drag Sabbat » ? 

Drag Sabbat est un collectif artistique et politique, créé pendant le premier confinement par 13 drag queens afin de pouvoir construire dans l’ avenir un syndicat artistique et participer à faire évoluer la législation du métier de « clown » à « drag queen/king ». Nos réunions se font de façon horizontale. On soutient le discours et la créativité complètement libre. C’ est un collectif libre et autogéré. 

On a commencé avec la création de sabbat shows, des spectacles en ligne avec un abonnement de 5 euros pour le soutien économique du groupe. Les sabbat shows ont touché différentes thématiques comme Halloween, le Saint Valentin, Noël et aussi les 200 ans de la révolution grecque, un spectacle anti-national. On se trouve à Athènes, Thessalonique, Héraclion et en Allemagne. On essaie d’ intervenir en Allemagne, de participer aux manifs, de collaborer avec des groupes féministes, comme « Sabbat » qui est notre groupe-sœur. D’avoir une présence en espérant qu’ on deviendra beaucoup plus pour faire des performances toutes ensemble a Athènes, à Thessalonique, à Berlin… On sera aussi au procès pour le meurtre de Zak/Zackie Oh en Octobre.

Quelles sont tes plans pour l’avenir ?

Je crée mes performances mais je suis aussi disponible auprès des gens pour participer à des concerts, des vidéos, des projets… En général, je reçois des retours très positif en Grèce. Je suis déjà en communication avec des artistes du milieu DIY qui seraient contents de m’inviter pour ouvrir leurs concerts. Fin novembre je ferai quelques performances en Grèce pour le soutien financiers de certaines causes.

Je suis optimiste. On avance peu à peu, peut être quand je serai plus âgée, j’irai aux concerts avec la canne et je verrai des trans ouvrir des concerts ! (Rires)

Je dirais que chaque artiste est capable d’orienter un peu son public et de le faire évoluer aussi. Si un concert de hip-hop à Athènes commence avec un artiste trans ou avec une drag queen, c’est que les artistes qui participent font leur coming-out aussi. C’est comme dire : « Les gars, ce sont nos sœurs là, quoique vous disiez« . La question, c’est d’avoir le courage de le faire!

Il ne suffit pas de se positionner contre le sexisme et l’ homophobie mais d’être capable de s’ approprier une telle situation. Pourras-tu accepter dans ta réunion 4 personnes trans? Pourras-tu porter des robes et faire du rap, comme Krav Boca? C’est ça la question. 

Un de mes objectifs personnels est d’entrer dans ce mouvement en Grèce et de me battre pour tout ça. Parce que les féminités, les non-binaires, les trans, les queers et tout ce qui concerne l’autodétermination de chacun et de chacune doit être en première ligne du mouvement radical et libertaire. On ne peut pas lutter sans ces personnes.

C’est pour cela que je veux me battre. Je viendrai entre vous, je n’attends pas votre invitation. Voici Lafert, elle joue là et là, elle a cette attitude politique et elle arrive. Point final !