L’Faree9

Fraîchement débarqués à Casablanca, nous nous étions fixés pour mission de donner la parole à des rappeurs de talent qui n’avaient encore jamais été interviewés ! C’est chose faite avec le trio L’Faree9 ! Rencontre non-loin du port de Casa avec Zehronin et Selfmy.  | Propos recueillis par Polka.B

Pourquoi avoir choisi de vous appeler L’Faree9, qui signifie « l’équipe » ?

Selfmy : C’est Yassine (le 3e membre du groupe, NDLR) qui nous avait présentés à la base !

Zehronin : On s’est connus à l’usine ! (Rires) Personne ne savait que je rappais au début… Je faisais des prods et j’étais assez discret. 

S : Il y avait un bon feeling entre nous. 

Z : Je vais te dire franchement : on a choisi L’Faree9 parce qu’on a pas trouvé de nom !

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Étiez-vous plutôt dans un esprit de collectif d’individualités ?

Z : C’était ça ! On voulait faire un truc ensemble tout en continuant à sortir des morceaux en solo. On a nos individualités. Après, cela ne nous empêche pas de fonctionner comme un vrai groupe.

Comment avez-vous découvert le rap ? 

S : Mon cousin m’a fait découvrir le rap américain. J’aimais vraiment la vibe… « Hypnotize » de Biggie ! C’est devenu plus sérieux quand je me suis mis à écouter du rap français : IAM, Lunatic, Booba, Youssoupha… J’ai mis beaucoup de temps à trouver le courage d’écrire. J’écoutais trop de rap ! Il fallait me couper de ces influences pour faire mon propre truc.

Z : Pareil. Mon cousin habitait en France et il me ramenait des cassettes. J’ai commencé par des gros tubes pop genre Michael Jackson, puis je suis passé à 2Pac, 50 Cent… Le morceau « Ready or not » des Fugees m’a vraiment mis dedans. Ce morceau ! C’était trop !

La scène rap marocaine ne vous parlait pas à l’époque ?

S : C’était beaucoup moins développé qu’aujourd’hui. À mon avis, on pouvait difficilement s’en inspirer car la scène se cherchait encore. Le premier que j’ai écouté qui rappait en Darija, c’était Don Bigg. Beaucoup de gens se sont mis à écouter du rap dans notre langue grâce à lui.

Z : C’est le premier à avoir vraiment cartonné. C’était en 2006 avec l’album Mgharba Tal Moute. Le projet était bien structuré… C’était la première fois qu’on entendait ça. On l’écoute encore maintenant, c’est un classique !

S : Avant cet album, les morceaux de rappeurs locaux n’étaient tout simplement pas diffusés. On se faisait écouter des titres via Messenger ou MySpace, mais on ne les prenait pas trop au sérieux.

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Aujourd’hui, les rappeurs marocains sont devenus les artistes les plus écoutés par la jeunesse du pays. Comment la scène a t’elle explosé aussi rapidement ?

S : A la base, la plupart des gens écoutaient du raï. Pour moi, la transition s’est faite avec des artistes qui ont commencé à mélanger rap et raï, comme Bilal. Mine de rien, ces artistes ont façonné une nouvelle fanbase qui s’est élargie avec le temps. Il parlaient des problèmes sociaux et des situations quotidiennes qui touchent les jeunes. Alors quand les « purs rappeurs » ont débarqué, ils ont trouvé toute une jeunesse qui était prête à recevoir ce message et cette musique.

Z : Au début, les gens ne se concentraient pas trop sur les prods. Ce qui les touchaient, c’était les textes. Ils pouvaient s’identifier. 

À quel moment s’est développée cette scène rap marocaine indépendante, ambitieuse et productive ?

Z : Tout s’est accéléré vers 2014.

S : Toute une génération de rappeurs s’est fait connaître du grand public. Des artistes comme 7liwa ont montré que c’était possible. Le niveau était élevé. L’attente est devenue énorme !

À l’heure d’internet où se multiplient les influences, vers quel style de rap vous êtes-vous tournés ?

Z : Vers la musique samplée, car on aime trop ça. Ce n’est pas du tout rétrograde pour nous. Tu peux même utiliser des samples dans la trap. C’est notre questionnement du moment. On est en train d’adapter notre musique aux sons d’aujourd’hui. 

S : On a compris qu’ici, les gens ne captaient pas certains codes du rap. On était peut-être un peu trop « geeks ». On se prenait la tête sur l’écriture, à faire de belles métaphores… C’était presque de la poésie. On y injectait des références de films, de séries, de jeux-vidéos… Mais la plupart des auditeurs passaient à côté. 

Z : C’était trop référencé. C’est important de faire son autocritique. On veut épurer notre musique tout en restant nous-mêmes. Le fond restera identique, mais il sera transmis autrement.

S : Souvent, presque toute la phrase était rimée. On faisait des multisyllabiques, c’était super technique ! Cela nous prenait beaucoup de temps pour assez peu de retours au final. On est en attentifs à la réception. Être seuls dans notre délire, cela ne nous intéresse pas.

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C’est l’orientation que vous avez prise pour votre dernier clip « Sakan Trou7 Tri7 » ? L’univers visuel et musical tranche clairement avec vos anciens morceaux…

Z : C’est ça ! D’ailleurs, ce morceau est parti d’un délire. On a pris des morceaux d’un film marocain qui parle d’une famille qui vit avec des fantômes qui hantent leur maison. Ça nous permettait de faire une métaphore de notre groupe, vivant aux côtés de fantômes que l’on compare avec les autres rappeurs. On ne les voit pas, et ils ne nous effraient pas ! (Rires) Mais voilà, c’était vraiment un truc décalé. On ne l’a pas fait en se prenant au sérieux.

S : Ce film, c’est Le Silence de la Nuit. C’est vraiment un classique de la fin des années 80 chez nous. Ce qui est cool, c’est que cette image nous permettait de faire de l’ironie. Pour moi, c’est hyper important. C’est ce qui nous faire rire et pleurer à la fois. Ça ressemble à la vie.

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Selon nous, vos couplets sont très loin d’avoir perdus en technique !

Z : Même si l’on se remet en question, la forme restera toujours importante à nos yeux. Si tu dis des choses intéressantes mais que tu ne rappes pas dans les temps, je ne vais rien retenir à ce que tu dis ! Je n’aurai même pas envie de t’écouter !

S : Si des mecs comme Eminem se sont permis de briser les codes, c’est aussi parce qu’à la base, ils avaient une technique irréprochable. Avant de prétendre être créatif, je pense qu’il faut d’abord maîtriser certains fondamentaux du rap. Parfois, certains se cachent derrière le côté « créatif » pour masquer leur faiblesse.

Que pensez-vous de ceux qui fustigent la trap, et qui regrettent le rap des années 90 ?

Z : Nous n’en faisons pas partie. Peu importe si c’est de la trap ou du boom-bap. Ce sont juste des batteries différentes avec un autre tempo, rien de plus. Si tu sais rapper, tu peux poser sur les deux !

S : On écoute J-Cole, Logic, Kendrick Lamar… Ce sont des rappeurs techniques qui posent sur des prods actuelles. 

Quels rappeurs marocains conseilleriez-vous d’écouter ?

Dizzy Dros, Fat Mizzo, Nessyou, Moby Dick, Al Nasser, Pause Flow…

Un dernier mot ?

Merci pour l’interview !