BRIGADA FLORES MAGON


Comptant parmi les pionniers de l’antifascisme au sein de la scène punk affiliée à la culture skinhead dès 1995, la Brigada Flores Magon reprend du service ! Après un creux de plus de 10 ans, le groupe parisien présente un nouvel album, le bien nommé Immortels.

À l’occasion de la sortie du disque, rencontre à Toulouse avec les deux « historiques » (Mateo et Julien) et les trois compagnons de longue date (Laurent, Arnaud et Goose) composant le line-up actuel de la Brigada.

| Par Polka B.

Vous sortez votre album Immortels après plusieurs années d’inactivité en studio. Et il se trouve que vous enchaînez les concerts depuis 2021, en France et à l’étranger… Que s’est-il passé pour que la BFM réintègre ainsi le game de la musique alternative ?

Julien : Il n’est pas facile de tenir la distance au sein de cette scène. Les conditions sont souvent « hardcore » et on a près de 600 concerts à notre actif, ça use ! À un moment donné, on a voulu donner la priorité à nos vies respectives car on ne voulait pas devenir des professionnels de la musique. Et Mateo a eu des jumeaux !

Cela dit, nous n’avons jamais parlé de « séparation » au sein de la Brigada…

Mateo : On avait fait un concert d’adieu en 2010. C’était aussi l’occasion de réunir tout le monde. 4 ans plus tard, le manager de Banda Bassotti nous appelle, et nous voilà repartis en Italie. Pareil pour Bull Brigade qui nous invite à venir jouer à Londres avec nos amis de Brixton Cats. On a fait quelques concerts en 2016 aussi…

De belles dates mais sans dynamique réelle. En l’absence de nouveau morceau, c’est un peu le risque…

Julien : Ta vie change ! Les mômes, le taf… Surtout que pour pouvoir jouer une heure et quart, il faut au moins faire quinze répets pour assurer quand tu n’as rien fait depuis cinq ans. Comme on habite dans des endroits différents, c’était une logistique de ouf. Abattre autant de taf pour faire trois dates, ça n’a pas de sens. Du coup, on voulait organiser une grosse tournée pour les 20 ans de la sortie du premier album. Pour reformer un groupe qui tient la route, nous nous sommes entourés d’Arnaud (ex- Bolchoï), de Goose à la guitare (ex- The Decline !) et  de Laurent à la basse (ex- Ya Basta, Tulamort).

Ce sont tous des amis de longue date qui avaient déjà assuré des remplacements à l’époque. Brigada, c’est un collectif politique mais aussi affinitaire. On ne va pas passer une annonce pour trouver quelqu’un. Au gré du temps, les changements de line-up donnent aussi une respiration. Tout ça pour dire que le Covid est arrivé dans l’histoire. On avait tellement bossé pour cette tournée qu’il était impossible d’en rester là ! À force de jouer, on s’est retrouvés avec une dizaine de morceau en plus !

Mateo : Brigada, c’est un collectif protéiforme. Il se trouve que là, ça s’est très bien passé entre nous tous.

Julien : Notre seul salaire, c’est le plaisir ! On ne gagne pas d’argent avec le groupe. Si je me demande ce que je fous là, je me casse. J’ai quand même 53 ans…

Arnaud : On avait déjà les mêmes rapports il y a 20 ans. On sait pourquoi on se retrouve et pourquoi on s’apprécie. Il y a quelque chose qui coule de source car nous ne sommes pas uniquement liés par la fête et la musique. On partage une vision politique.

D’autant qu’aujourd’hui en France, il n’y a plus autant de groupes politisés qu’à la fin des années 90…

Laurent : Clairement. À cette époque, les discours antifascistes dans la musique alternative étaient beaucoup plus nombreux. Aujourd’hui, la situation est bien pire, et je trouve la réaction bien timide au sein de la scène.

Mateo : Même si nos vies ont changé et que cela impacte notre implication dans le milieu militant, nos idées n’ont pas bougé d’un centimètre. Notre analyse est peut être différente car ce n’est plus la même époque. Le fond du problème, lui, est toujours le même ! La Brigada est née dans un local de la CNT. On racontait ce qu’on vivait. La Brigada reste une affaire politique.

Julien : Quand on a décrété qu’on voulait faire de la « oi antifasciste », les gens nous regardaient avec des yeux de hibou ! La scène était blindée de fafs à l’époque…

Mateo : On ne faisait pas du « rock alternatif »… on était avant tout des skins !

Julien : Mais antifas. Et affichés comme tels ! Pas assez clairement à priori, car une fois dans la salle certaines personnes se rendaient bien compte qu’elles s’étaient trompées de concert ! (Rires) Au départ, on n’en a pas fini beaucoup… ça partait direct en bagarre générale.
C’était bien plus que de la musique. Les gens ne venaient pas seulement voir un groupe puisqu’on animait le RASH Paris et qu’on éditait le fanzine Barricata… Il y avait plein de choses autour.
Tu revendiquais une conviction politique rien qu’en étant présent au concert. Pour moi, c’est l’essence du punk rock. C’est un mouvement global. Considérer seulement la musique pour la musique n’a pas beaucoup d’intérêt.

Selon vous, pourquoi les groupes de punk français ouvertement apolitiques sont ceux qui tournent le plus, notamment à l’étranger ?

Mateo : C’est l’économie de marché. Des mecs se sont rendus compte qu’il y avait du blé à se faire. Il est évident qu’ils ne vont pas faire de business avec des mecs qui crient haut et fort qu’ils ne veulent pas en faire. Et encore moins pour parler politique !

Laurent : Ce sont des groupes consensuels, aseptisés, qui sont conçus pour plaire au plus grand nombre.

Julien : ça dépasse la scène punk. C’est le monde dans lequel on vit. Celui qui fait le plus d’audience en France, c’est Hanouna. Tout est dit. Il suffit de dire plein de conneries en occultant les questions qui fâchent. Les groupes de oi d’aujourd’hui ne sont même pas « apolitiques »… Ils sont « non-politiques » !

Le mec à côté de toi dans le public peut avoir voté Zemmour, il a payé sa place. Et tout le monde boit des bières ensemble. Nous avons le positionnement inverse depuis le départ : on dit ce qu’on fait et on fait ce qu’on dit. Les premiers qui étaient chauds pour aller se taper, c’étaient les membres du groupe !


Mateo : On parlait de grèves et d’Amérique latine parce qu’on le vivait ! Les chansons ne retranscrivaient pas notre quotidien à la lettre, mais sur ces sujets, nous étions crédibles.

Notre ambition en temps que groupe, c’était de créer des espaces où les gens pouvaient se rencontrer. On voulait développer ce réseau. Beaucoup de groupes se sont montés dans notre sillage car ils se sont rencontrés à nos concerts. Comme à la Flèche d’Or. On voulait synthétiser des choses, être la chambre d’écho d’un mouvement qui était inexistant à l’époque.

Julien : Je le rappelle : hormis The Oppressed, il n’y avait pas de groupe de oi ouvertement antifasciste en 1995. Du moins à ma connaissance ! Notre groupe a créé une scène. Au tournant des années 2000, la dynamique était puissante. Il n’y a pas de secret : quand il y a un potentiel de public, les gens ont envie de monter des groupes. Nous y avons largement contribué en repartant sur des bases saines. Elles avaient le mérite d’être très claires, sans équivoque.

Arnaud : Je l’ai vécu depuis Toulouse en tant qu’enfant du rock alternatif. On voulait prendre du plaisir en jouant du rock et en même temps être offensifs.

Des crews se montaient à Toulouse et à Bordeaux sous l’étiquette redskin. Quelques années plus tard, le RASH Paris a permis à ces équipes de se fédérer.

Au moment où vous montez la Brigada, avez-vous conscience de ces enjeux ? De cette capacité à rassembler au-delà de la production musicale ?

Mateo : Clairement pas ! Pour remettre dans le contexte, notre premier line-up était hautement improbable !

Je suis de taille moyenne, Victor avec sa tête de Mexicain aussi. On a Raymonde à la basse, et une tige de deux mètres à la guitare ! (Rires) On était improbables sur tout ! Tu avais deux choix : ou tu en rigolais, ou tu l’assumais à fond. On a choisi la deuxième option. Moi, j’étais skinhead et je portait des t-shirts avec le drapeau cubain !

Julien : Quand on nous voyait arriver, on nous prenait pour des martiens ! On le cultivait à fond et c’était drôle. Un magazine s’était intéressé à nous pour figurer sur leur compil vendue en kiosque. Ils galéraient à trouver de la oi audible. Ils ont du considérer qu’on correspondait au profil. (Rires) On leur a filé « RASH » !

Tous les autres groupes apo devaient être dégoûtés d’avoir leur morceau aux côtés du notre. Le mec du magazine avait l’air choqué. Mais qu’est ce qu’il y avait de choquant au final ? Pour nous en tout cas, c’était ça ou rien.

Mateo : Les mecs nous appelaient « Les Rouges », ça veut tout dire… C’est une expression de faf populiste qui concentre tout le dégoût qu’on leur inspire.

Julien : On était beaucoup plus « noirs » que « rouges » d’ailleurs…

Mateo : Quand les mecs essayaient de justifier un t-shirt de groupe plus que chelou, ils disaient que c’était de la « provocation ». Bizarrement, tu ne les verras jamais avec un t-shirt Fidel Castro, même pour la provoc’ ! Bref, on a été les empêcheurs de tourner en rond au sein de cette scène skin. Aujourd’hui encore, certains doivent avoir des crises d’eczéma qu’on joue toujours ! (Rires)

Julien : On n’était pas antifa pour le marketing. Quand il fallait aller au contact, on y allait.

Au niveau de la scène musicale antifasciste, que dire de « l’après Brigada » ? On a le sentiment que la génération suivante n’a pas forcément pris le relais, sans meneur ou repère pour perpétuer ce que vous aviez commencé…

Julien : Tu mets le doigt sur un point sensible… On a monté un collectif où il y avait beaucoup de monde. Quand nos vies personnelles ont pris le dessus, on s’est mis en retrait de tout ça. Techniquement, tout s’est arrêté dans les deux ans qui ont suivi. Je trouve ça un peu malsain que tout tienne sur une seule entité…

Laurent : Histoire de nuancer un peu : il faut savoir que la Brigada était une grosse tête d’affiche dans le milieu antifa.  D’autres groupes ont énormément joué dans beaucoup d’endroits. Mais la vérité, c’est que les gens se déplacement moins pour les groupes peu connus. Une génération est passée. C’est cyclique !

Arnaud : Le RASH englobait plein de gens aux aspirations différentes. Certaines personnes étaient là pour des raisons politiques, d’autres beaucoup moins. C’est vrai qu’il y a eu un problème dans la transmission.

Julien : On faisait tout. C’était bien le problème. Le fanzine, l’organisation des festivals, jouer lors des concerts… Malgré nous, on a habitué les gens à consommer. Ils se ramenaient au concert et c’était du tout cuit.

Mateo : Pour parler de notre fanzine Barricata, on a quand même essayé de former des gens plus jeunes et de les inclure. Tout était prêt pour que d’autres personnes envisagent une suite… Mais de façon inexplicable, personne n’a repris le flambeau et tout s’est arrêté en 2010.

Julien : C’est dommage. Quand je vois comment la société a évolué, je me dis que c’est maintenant qu’il faudrait faire ce qu’on a fait il y a vingt ans.

À votre époque, les codes vestimentaires étaient suffisamment clairs pour identifier les fafs. Aujourd’hui la donne a changé : les looks casual et sportswear sont partout, quel que soit le bord politique…

Mateo : Aujourd’hui, le fasciste c’est ton voisin, c’est ton collègue de travail. Il est là le vrai danger. On est arrivé à un summum de l’extrême droite.

Laurent : Même Le Pen se fait doubler sur sa droite !

Julien : Et puis à l’époque, les gros boneheads ne représentaient pas vraiment un danger politique… Le danger physique pouvait être immédiat dans certains contextes, mais honnêtement ils ne pesaient rien.

Les identitaires sont bien plus dangereux car ils se fondent dans la masse. Ce sont de vrais militants, actifs au quotidien. Les gens les plus efficaces sont les plus discrets. La preuve, ils infusent dans toutes les organisations d’extrême droite.  Et le look brouille les pistes, c’est clair. Il n’y a rien de plus semblable qu’un groupe de fafs casual face à un groupe d’antifas casual !

On est au cœur des textes du nouvel album ?

Mateo : ça en fait partie mais pas seulement ! C’est important d’évoluer. Les textes du premier album étaient assez… « évidents » on va dire.

Julien : Caricaturaux même. Mais bon… on était jeunes, on avait besoin de s’affirmer !

Mateo : On parle aussi des migrants, des manifs… C’est un peu dur de se juger soi-même. Mais soyons honnêtes : la Brigada c’est aussi une recette. On n’aurait pas pu partir dans une direction musicale totalement différente.

Vos albums sont quand même assez différents les uns des autres…

Goose : L’enjeu reste toujours le même d’un album à l’autre : rester dans la musique propre au groupe, sans se répéter.

Mateo : Des gros refrains, des gimmicks, et une basse très rock’n’roll !!