Interview de… Emmanuel.le Linée

Les Interviews de Myrtille et la chocolaterie


Emmanuel.le Linée

Jeune auteur.ice de théâtre, explorateur.ice du genre et de la langue, Emmanuel.le Linée te donne à lire des bouts de vie qui vont droit dans ta gueule, te parle de précarité et de sexualité sans détour, puis te laisse méditer à l’absurde et au (très) concret. Petit tour d’horizon d’un univers poétique et politique, aussi trash que sensible.

| Par Myrtille / Dessins : Rouli

Le théâtre semble pour beaucoup de monde être un milieu trop codifié, bourgeois, inaccessible, pour donner envie de s’y intéresser.
Qu’est-ce qui t’a amené à écrire pour le plateau ?

Franchement plein de trucs et rien de spécial en même temps. Le théâtre ça a toujours été “mon truc” depuis que je suis toutx petitx, j’en faisais dans ma MJC puis au lycée et puis je me suis mis à écrire, à genre beaucoup beaucoup écrire à partir de décembre 2014. Pour moi, pour ne pas sombrer. Il y avait le théâtre à côté, et après mon bac j’ai continué de l’étudier à la fac. Du coup fatalement, à un moment je me suis mis à écrire pour le théâtre.

Tu mêles l’art, l’amour et le politique. Tu fais le lien entre l’intime et le sociétal.

Dans le sens où ça permet d’offrir une représentation de la communauté transpédégouine que tu mets en avant dans ton dernier texte Touz, réflexion métaphysique après la baise, est-ce qu’écrire pour le théâtre est pour toi un acte militant ?

Je ne suis pas sûr que ça soit militant. Quand on fait quelque chose de militant, on est convaincu, on a des convictions profondes sur ce qui doit être fait, ce qu’on fait, pourquoi on le fait. Ecrire du théâtre c’est mettre en scène l’altérité et donc nos propres endroits d’impensé, de contradiction, c’est peut-être l’inverse du militantisme au final. J’ai écrit cette pièce au début pour me marrer en vrai et faire chier les hétéros-chiants.

Touz c’est pas un manifeste. C’est des questions que je me pose et du coup c’est pour ça que j’ai écrit. J’ai pas plus la réponse que le lecteur/spectateur, mon endroit d’écriture c’est vraiment un endroit d’interrogations et de fun j’avoue. 

On aurait envie de voir des corps et identités queer au plateau, pour renverser leur invisibilisation quotidienne et leur sous-représentation parmi les acteur.ices.

As-tu pour projet de mettre en scène tes textes ? Est-ce que le format ‘performance’ serait une piste pour toi ? Comment choisir les acteur.ices pour ces rôles particuliers ? 

Ah bonne question ! Alors non pas pour l’instant. J’ai déjà fait deux lectures : une dans un cadre institutionnel et une autre en schlag dans un festival home made avec pleins de TPG, c’était bien marrant. Mais non c’est pas prévu que je mette en scène ce texte… Cependant, j’ai tout fait dans la forme pour que si un.e metteur.se en scène s’empare du truc, iel doivent se poser la question de la distrib’ oui.

Il y a plein d’indications dramaturgiques dans la pièce qui ne laissent aucun doute sur le fait que les persos sont queer (alors qu’à aucun moment ce n’est écrit). Mais au-delà de ça, je ne voulais pas qu’on puisse mettre de corporalité sur les persos en se disant “ah oui lui c’est le pd cis”, “elle c’est la gouine butch” etc… Du coup les personnages n’ont pas de nom et changent toujours de pronom et d’accords d’une réplique à l’autre. C’est des persos sans genre, sans identité, sans corporalité défini ou alors en constant mouvement. Du coup il n’y a pas de restrictions en termes de distribution.

La notion même de personnage est assez questionnable d’ailleurs dans ma pièce. Il n’y a pas vraiment de psychologie des personnages, iels ne sont définis que par leur interactions avec le groupe. 

Quand on joue dans des salles de théâtre, il se pose la question du public touché, d’à qui on parle.

Est-ce que tu trouverais intéressant de jouer tes pièces dans d’autres lieux (en rue, en squat …) pour toucher un public qui ne va pas dans les salles, ou au contraire tu voudrais prendre une place qui ne t’est pas donnée dans le théâtre institutionnel ?

Alors oui ! J’aimerais bien qu’elle soit diffusée partout. Je pense que ma pièce, et mon écriture en générale, ne “s’adresse” à personne en particulier.

Mais globalement ce que je questionne dans Touz c’est aussi et surtout des problématiques intra-communautaires. J’ai eu aussi des retours de personnes pas queer qui me disaient que ça leur parlait, après tant mieux si tout le monde y trouve son compte.

La question de l’adresse est délicate. Penser l’adresse en amont de l’écriture c’est penser à sa place en tant qu’auteurx aussi.

Au final je me rend compte avec les retours que j’ai qu’il y a des gentes qui adorent, d’autres qui détestent et ça indépendamment que ça soit des queer, non-queer, personne de l’institution du théâtre ou pas du tout etc…

On peut pas prévoir la réception donc pour moi on peut pas prévoir l’adresse. 

Dans Touz, tu joues avec les mots, tu déconstruis la structure des phrases comme celle des genres, tu te fous des conventions de l’écriture théâtrale, tu invites à une lecture éprouvante, chaotique.

On sort de ton texte comme d’une perche, dérangé.e et touché.e sans trop comprendre ce qu’il vient de se passer. Que recherches-tu comme effets sur le public ?

Je sais plus qui m’a dit ça sur ma pièce mais que Touz c’était un peu comme si Sarah Kane avait baisé avec Copi. J’aime bien l’image. Je cherche en essayant toujours de me rendre compte au dernier moment ce que j’étais en train de chercher. 

Je pense que la lecture de Touz est plus éprouvante que l’écoute du texte parce qu’il y a onze personnages et que les répliques fusent, donc à la lecture je veux bien entendre que c’est éprouvant. C’est vraiment quelque chose que j’ai écrit comme une partition musicale et qui prend corps dans les la lecture à voix haute. Je n’ai rien cherché à faire de prime abord, j’ai juste giclé sur mon open document pour m’amuser. Je me suis rendu compte ensuite de ce que cela questionnait. Mais je suis assez contentx de la description de ton expérience de lecture, c’est cool que ça t’ait provoqué ça.

Cela arrive que des personnes passent totalement à côté, et ne comprennent pas le propos. Elles ont du mal à se détacher du côté “vulgaire” et “choquant” du texte. Tant mieux si ça polarise les opinions, je considère que c’est réussi. 

Ton style d’écriture m’a fait penser à la Langue Bâtarde de la poète Elodie Petit, qui la définit dans un manifeste dont voilà un petit extrait :

« Elle n’est pas là pour plaire aux hommes, à la bonne société, aux bien éduqués, aux lettres françaises, à la rentrée littéraire. […] Elle ne mange pas de viande. Elle trouble le système bien huilé hétéro-patriarche, elle pisse sur vos pompes, elle t’emmerde. Elle aime le cul, sale et direct. »

Est-ce que cette définition te parle ?

Oui Élodie bien sûr !!! J’ai rencontré son écriture en 2021 avec celle de Marguerin Le Louvier dans leur Anthologie Douteuse. J’adore ce qu’iels font, leur écriture m’a sauvé, empêché de me noyer dans la langue bourgeoise, trouver les miens parmi les poétasses de ce monde. 

Quelques jours avant d’écrire Touz j’ai lu Des cafards dansent autour des poubelles d’Élodie qui est un des textes de l’Anthologie. Et il est question d’une partouze. Je pense que ça m’a grandement influencé mais j’ai réalisé ça bien après coup. On n’invente jamais rien. 

As-tu des projets (d’écriture ou autres choses) en préparation ? 

Oui oui. Je ne sais pas à quel point j’en parle. Le projet est un peu comme moi :  en constante mutation. Mais oui globalement en ce moment je me concentre sur l’écriture.

Je découvre aussi de nouveaux outils qui sont les polices d’écritures inclusives mise en ligne gratuitement par le collectif Bye Bye Binarie. J’en suis encore à la prise en main mais c’est vraiment fun, ça décuple les possibilités d’écriture. Je surconseille à touxtes de les télécharger. 

Un livre ou un spectacle à conseiller pour finir ?

Anthologie Douteuse, de Marguerin Lelouvier et Elodie Petit du coup évidemment. 

Scum manifesto parce qu’on a toujours besoin de ce genre d’humour révolutionnaire et jouissif… Et en termes de théâtre Copi, toute ses pièces valent le détour mais La Tour de la Défense c’est ma préférée : il y a des histoires de LSD, de pds qui vont se faire enculer aux Tuileries ou dans une salle de bain, de travesti, de bébé congelé et de serpent cramé en guise de dinde de noël. C’est incroyable vraiment faut lire cette pièce. 

– JOUIS VITE
– ET RETOURNE TRAVAILLER VERMINE
– PRODUIT DES OBJETS DE JOUISSANCE POUR AUTRUI
– ACHÈTE LA MERDE QUE LES AUTRES ONT PRODUIT POUR TOI TROP VITE – APRÈS AVOIR JOUIS TROP VITE
– COMME TOI
– COMME NOUS
– IL FAUT JOUIR VITE
– ET VITE SE REMETTRE AU TRAVAIL.
– LE TEMPS DE TRAVAIL EST

Un temps bref
– INCOMPRESSIBLE
NOIR

Extraits de Touz, réflexion métaphysique après la baise